Depuis une soixantaine d'années seulement, les enfants naissent à la maternité. Autrefois, ils naissaient à la maison, loin du regard des hommes. Dans la tradition chrétienne, le mariage n'a qu'une justification : engendrer une nombreuse descendance. La première naissance se produit dans les 9 à 15 mois suivant la cérémonie. Au cours de l'histoire, conception et enfantement sont empreints de mystère et bon nombre de femmes ne peuvent préciser la date de conception, ce qui pose quelques problèmes pour savoir si l'enfant arrive à terme.

La grossesse est vécue comme une maladie et on redoute le moment de l'accouchement car on sait que la survie de la mère, comme celle de l'enfant, n'est pas certaine. La peur de souffrir est omniprésente, d'autant plus que la tradition affirme que la femme doit enfanter dans la douleur. Certains accouchements sont très longs quand on se contente de laisser faire la nature, jusqu'à une semaine parfois à partir du début du travail.

Mettre au monde un enfant est une affaire de femmes : le plus souvent, la mère assiste sa fille ou une voisine se dévoue. Pourvu qu'elle arrive à quelques accouchements heureux, sa réputation est faite : elle devient la ' bonne femme ', la ' bonne mère '. On l'appelle la matrone et, quand les connaissances médicales se précisent, la sage-femme.

Ce n'est qu'après le milieu du XVII e siècle que l'Eglise encourage la nomination d'une matrone dans chaque paroisse. Les femmes réunies dans l'église désignent la plus capable, toujours une qui a eu des enfants. Le curé s'assure qu'elle connaît les formules du baptême au cas où il y aurait péril de mort de l'enfant.

La matrone, qui n'a ni connaissance médicale, ni formation, doit être de moeurs irréprochables, être disponible et venir au premier appel : on a donc souvent recours à des femmes âgées sans petits-enfants à charge, plus souvent encore à des veuves. Elle a des ciseaux pour couper le cordon ombilical, du fil pour le lier ; du vin ou du vinaigre pour ranimer l'enfant s'il présente peu de signes de vie ; de l'huile ou du beurre pour oindre le doigt qui doit explorer les parties génitales de la femme.

La plupart des accouchements se passent bien car l'enfant se présente bien. Pas question de césarienne sur une femme vivante mais l'obligation de la ' délivrer ' domine, d'où des manipulations hasardeuses dans la matrice, des massages du ventre, opérations qui aboutissent parfois à mutiler le nouveau-né. Si la plupart des femmes accouchent dans leur lit, on a recours parfois à d'autres positions, debout devant la cheminée (le feu est un émollient) ou à genoux sur une chaise. En Lorraine et en Alsace, on reste fidèle à la chaise d'accouchement, sorte de chaise percée souvent propriété de la communauté.

Si tout se passe mal, la mère meurt en couches, dans d'horribles souffrances, sans parvenir à expulser l'enfant. Seul le chirurgien de campagne, rarement présent, peut utiliser des fers, mais c'est la plupart du temps au détriment de la vie de l'enfant. Devant ce risque de mort, la matrone ne doit avoir qu'une idée, baptiser ou plutôt ondoyer l'enfant pour que son âme n'erre pas éternellement dans les limbes. Si tout se passe bien, l'enfant est lavé, frictionné, parfois remodelé quand la tête a été enclavée dans le bassin.

A partir des années 1760, sous l'impulsion d'une sage-femme nommée Marguerite de Boursier du Coudray, on commence à former des sages-femmes. Madame de Coudray parcourt la France avec un matériel de démonstration. Il s'agit de mannequins démontables, de façon à montrer l'enfant dans le ventre de sa mère, les positions qu'il peut prendre au moment de l'accouchement, les manipulations qu'on peut exécuter pour corriger les défauts de la nature. Avec ce début de formation pratique, cet apprentissage des gestes renouvelés, ce début de connaissances médicales, la seconde moitié du XVIII e siècle voit peu à peu de vraies sages-femmes succéder aux matrones des campagnes.