La famille Stuart est l’une des familles les plus connues au monde. Des séries, des livres, des rumeurs et des intrigues fantasmagoriques entourent ce nom légendaire de la plus grande dynastie britannique. Les Stuart ont régné sur l’Écosse dès 1371, puis sur tous les territoires du Royaume-Uni de 1603 à 1714. Mais saviez-vous que cette dynastie écossaise, qui portait d’abord le nom de Stewart, était issue du clan FitzAlan, d’origine bretonne ?.
Les origines bretonnes des FitzAlain
Entre Saint-Malo et le Mont-Saint-Michel vivent aujourd’hui moins de 6000 Dolois, qui peut-être ignorent qu’un des leurs est à l’origine d’une famille royale qui s’est établie de l’autre côté de la Manche. Dol-de-Bretagne est une ville d’Ille-et-Vilaine, dont le nom provient du gaulois signifiant « méandre ». Dol est située dans un méandre du Guioult.
Dès le 6e siècle, Dol devient l’un des premiers évêchés de Bretagne. Et l’évêque Samson de Dol est même l’un des sept fondateurs de la Bretagne, et la cathédrale de la ville lui est dédiée. La ville est prise par les Normands au milieu du 10e siècle, puis pillée par les Vikings quelques décennies plus tard. C’est dans ce contexte que Guillaume le Conquérant arriva à Dol (scène représentée sur la tapisserie de Bayeux) lorsqu’il mena une expédition contre la Bretagne.
Parmi les notables de Dol, il y avait la famille d’Alain. Les historiens ont retrouvé l’existence d’un certain Alain, né probablement au 10e siècle, qui avait été élu dapifer, un terme que l’on traduit par sénéchal. Alain était le sénéchal de l’évêque de Dol, un titre héréditaire accompagné d’une véritable fonction. Son fils, lui aussi Alain, devint sénéchal de Dol à son tour. Il mourut lors de la première croisade, en 1097. Son fils Fledaldus dit Flaad, lui succéda.
Selon la tradition, on nommait une personne en ajoutant « fils de » derrière son prénom. Ainsi, Fledaldus était appelé « Flaad Fils d’Alain ». Quant à « fils de », il s’écrivait phonétiquement « Fitz ». Le fils de Flaad, Alain FitzFlaad, fut aussi sénéchal jusqu’à sa mort en 1114.
On dit que le futur roi Henri 1e d’Angleterre, fils de Guillaume le Conquérant, rencontra Flaad et son fils Alain lorsqu’il fut assiégé au Mont-Saint-Michel. Une fois libéré et lorsqu’il monta sur le trône d’Angleterre en 1100, Henri recruta le notable breton et en fit l’un de ses proches conseillers. Flaad et son fils Alain se rendirent en Angleterre, vivre à cour du roi.
Les FitzAlain deviennent les proches conseillers du roi d’Angleterre
Alain, tout en étant proche du roi d’Angleterre, devint sénéchal de Dol à la mort de Flaad et continua aussi son ascension sociale en Bretagne, en épousant Avelina de Hesdin, fille du grand propriétaire Ernulf de Hesdin de Ponthieu.
Du côté anglais, Henri 1e avait confié à Alain FitzFlaad la supervision des frontières galloises. En échange de ses bons services, il avait obtenu des territoires et des domaines dans le Shropshire. En devenant propriétaire d’un château à Oswestry, il fut reconnu comme un seigneur et venait donc de faire son entrée dans la petite noblesse anglaise. Alain et Avelina étaient les parents de Gauthier FitzAlan, Guillaume FitzAlan et Jordan FitzAlan. Un certain Simon est aussi mentionné, parfois comme un fils d’Avelina, adopté par Alain, parfois comme un bâtard.
Jordan FitzAlan héritera du titre de sénéchal de Dol, qu’il transmit à son tour à ses descendants bretons. Les autres fils d’Alain avaient suivi leur père en Angleterre. Son fils Guillaume (connu comme William FitzAlan) héritera du patrimoine foncier de son père et des titres associés. Il sera donc seigneur d’Oswestry et de Clun, tout en exerçant la fonction de shérif dans le comté du Shropshire. Ses descendants deviendront comtes d’Arundel puis ducs de Norfolk. Edward Fitzalan-Howard, actuel 18e duc de Norfolk est toujours au service de Sa Majesté, puisqu’il est comte-maréchal d’Elizabeth II.
Si Jordan a hérité du titre de sénéchal de Dol et Guillaume des titres nobiliaires de leur père, le troisième fils, Gauthier devra lui-même tracer sa route… en Écosse. À la mort d’Henri 1e, l’Angleterre connut la période qualifiée d’Anarchie, alors que sa seule fille légitime Mathilde L’Empresse s’empare du pouvoir. Il semblerait que Gauthier (connu comme Walter FitzAlan) ait préféré trouver les faveurs du côté du roi David 1e, en Écosse, qu’il connaissait bien puisque celui-ci avait été le protégé d’Henri 1e.
Les FitzAlan deviennent sénéchaux en Écosse
Le roi David nommera Walter dapifer (ou sénéchal) du roi d’Écosse. Sénéchal est une fonction de bras droit, d’intendant, semblable à celle d’un conseiller, traduit en anglais par steward. Steward est toujours le mot anglais utilisé pour désigner une personne au service d’autrui. Le mot steward vient du vieil anglais « stig » (qui veut dire foyer, maison) et « ward » (qui veut dire gardien).
Il ne s’agit certainement pas d’un hasard si Walter FitzAlan ait été nommé dapifer (sénéchal, steward) par le roi David, alors que son frère ainé, Jordan FitzAlan, était au même moment dapifer de Dol, en Bretagne, une fonction assurée de père en fils dans la famille.
Walter savait, par son héritage familial, comment être un bon intendant et sa mission consistait principalement à tenir et gérer la Cour. Il deviendra très proche du roi David, qui l’avait nommé steward à vie, mais aussi de façon héréditaire. Nommé à vie, Walter assurera sa fonction de steward lors des règnes suivants du roi Malcom IV et du roi Guillaume 1e Le Lion.
À la mort de Walter, en 1177, son fils Alan FitzWalter hérita de la fonction de grand-sénéchal du roi d’Écosse. Alan FitzWalter servit durant le règne de Guillaume Le Lion. On dit qu’il aurait accompagné Richard Cœur de Lion durant la troisième croisade. Il acquit aussi des terrains, dont l’île de Bute, à l’ouest de l’Écosse. Alan avait épousé Alesta, fille de Morggán, comte de Mar. Leur fils Walter adopta le titre de son père comme patronyme.
Il arrivait que le titre de noblesse ou la fonction finisse par se confondre avec le nom. L’orthographe incertaine de l’époque fait de « steward » le nom « Stewart » (avec un “t”). Walter Stewart est donc le premier à utiliser le titre comme patronyme. Il devint le 3e grand-steward du roi d’Écosse à la mort de son père, en 1207. Sous son mandat apparait aussi dans ses signatures la mention de Justicier d’Écosse. Il se faisait aussi appeler Walter de Dundonald, du nom d’un château qu’il possédait.
Walter avait épousé Bethóc, fille du comte d’Angus. Parents de nombreux enfants, leur fils aîné, Alexandre Stewart deviendra le 4e grand-sénéchal du roi d’Écosse. C’est sous son mandat que la fonction de « grand-steward du roi d’Écosse » devient « grand-steward d’Écosse ». Cela montre clairement l’importance de la fonction, qui n’est plus simplement d’être au service du roi mais bien de toute la nation. Alexandre Stewart accompagnera le roi Saint-Louis lors de la septième croisade.
Alexandre Stewart (aussi parfois appelé Alexandre de Dundonald), ayant pris du galon, deviendra en 1255 l’un des Gardiens de l’Écosse, nom donné aux régents nommés pour gouverner le pays durant la minorité du roi Alexandre III. Il s’avérera être un fin stratège militaire et lèvera une armée. Il réussira à défendre l’Écosse des attaques du roi de Norvège et des Hébrides. Son frère était lui aussi impliqué dans la défense du pays. C’est ainsi que plusieurs membres de la famille reçurent différents titres, seigneuries, comtés en remerciement de leurs actions pour le royaume.
Alexandre Stewart aurait aussi réalisé un pèlerinage jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est ce voyage qui lui aurait donné l’idée de prénommer son fils Jacques (ou James en anglais). Le nom était alors totalement inconnu en Écosse. Jacques Stewart devint à son tour 5e grand-sénéchal d’Écosse, en 1283. Jacques, comme son père sera désigné Gardien de l’Écosse pendant la minorité de la reine Marguerite 1ère. Cette dernière meurt prématurément en 1290 et Jacques Stewart continue à occuper sa fonction de régent pendant la période d’interrègne.
Les Stewart montent sur le trône d’Écosse
Jacques Stewart avait épousé Giles (Egidia) de Burgh, fille du comte irlandais d’Ulster. Leur fils aîné, Walter Stewart, devint le 6e grand-sénéchal d’Écosse. Elizabeth de Burgh, une petite-nièce de son épouse, avait épousé le roi Robert Bruce. Après les défaites du roi Robert 1e Bruce, plusieurs femmes de son entourage, dont son épouse et sa fille Marjorie, issue de son premier mariage avec Isabelle de Mar, furent prisonnières en Angleterre. Marjorie fut emprisonnée à la Tour de Londres, transférée dans un couvent et puis dans différents lieux de détention, humiliée en public, et même détenue dans une cage.
Après avoir capturé Humphrey de Bohun, grand ami du roi Edouard 1e d’Angleterre dont il avait épousé la fille, Robert 1e de Bruce conclut un marché. Il accepte de libérer Humphrey de Bohun, en échange de son épouse et de sa fille Marjorie. Edouard II accepte en 1314, prêt à tout pour récupérer son beau-frère à ses côtés. Robert Bruce envoie son grand-sénéchal, Walter Stewart récupérer sa fille à la frontière et lui confie la tâche de la ramener à la cour. Walter épousera Marjorie en 1315. En guise de dot pour sa fille, le roi Robert de Bruce offre la baronnie de Bathgate à Walter Stewart. Marjorie est morte en donnant naissance à leur fils, Robert en 1316. Walter épousera ensuite Isabel de Graham et il aura encore trois enfants.
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Robert Ier Bruce meurt, probablement d’une forme de lèpre, en 1329. Son fils David II d’Écosse lui succède. David avait épousé Jeanne de la Tour, fille du roi Edouard II d’Angleterre et d’Isabelle de France. Leur mariage resta infructueux, tout comme les nombreuses relations de David II avec ses maitresses. C’est son neveu, Robert Stewart, fils aîné de sa demi-sœur Marjorie, qui lui succèdera.
Robert Stewart, petit-fils de Robert de Bruce, succède à son oncle, David II en 1371. Ainsi débute la dynastie des Stewart. Depuis leur Bretagne natale, où ils officiaient comme sénéchaux de Dol, jusqu’à l’ascension sur le trône écossais de Robert II, plus de 300 ans se sont écoulés. Ils règneront sur l’Écosse, puis sur l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande à partir de 1603.
La dynastie des Stuart s’empare de l’Angleterre
En 1390, Robert III, fils de Robert II lui succède sur le trône, suivi par Jacques 1e, Jacques II, Jacques III, Jacques IV, Jacques V et Marie 1e. Marie, devenue reine d’Écosse à l’âge de six ans, à la mort de son père, fut aussi mariée précocement à 15 ans au dauphin de France, François. François monta sur le trône dans les mois qui ont suivi leur mariage, après la mort accidentelle de son père en 1559. La reine Marie d’Écosse et de France vivra avec son époux en France, là où son nom de Stewart fut francisé en Stuart.
François II mourut au bout d’un an seulement sur le trône, ce qui permit à sa jeune veuve de retourner en Écosse. Là, elle épousa son lointain cousin, Henri Stewart, lord Darnley. Marie descend de James Stewart, 5e grand-sénéchal d’Écosse, alors que lord Darnley descend de John Stewart, frère de James. Ils ont donc comme ancêtre commun Alexandre Stewart, 4e grand-sénéchal décédé en 1283. Cette lointaine parenté permet cependant à la dynastie des Stewart, devenue alors Stuart, de continuer à régner sur l’Écosse. En effet, c’est leur fils, Jacques, âgé d’un an, qui succèdera à Marie, contrainte d’abdiquer en 1567.