Louis XVI en costume de sacre, huile sur toile de Joseph-Siffred Duplessis (1777).
C'est la suite des articles précédents concernant les descendants d'Alain IX de Rohan et Marguerite de Bretagne.
Louis XVI, Louis XVIII et Charles X sont frères...
Louis XVI, né le à Versailles sous le nom de Louis-Auguste de France et mort guillotiné le à Paris, est roi de France et de Navarre du au , puis roi des Français jusqu’au . Il est le dernier roi de France de la période dite de l'Ancien Régime.
Fils du dauphin Louis de France et de Marie-Josèphe de Saxe, il devient dauphin à la mort de son père. Marié en 1770 à Marie-Antoinette d'Autriche, il monte sur le trône en 1774, à dix-neuf ans, à la mort de son grand-père Louis XV.
Héritant un royaume au bord de la banqueroute, il lance plusieurs réformes financières, notamment portées par les ministres Turgot, Calonne et Necker, comme le projet d'un impôt direct égalitaire, mais qui échouent toutes face au blocage des parlements, du clergé, de la noblesse et de la cour. Il fait évoluer le droit des personnes (abolition de la torture, du servage, etc.) et remporte une grande victoire militaire face à l'Angleterre, à travers son soutien actif aux indépendantistes américains. Mais l'intervention française en Amérique achève de ruiner le royaume.
Louis XVI est principalement connu pour son rôle dans la Révolution française. Celle-ci commence en 1789 après la convocation des états généraux pour refinancer l'État. Les députés du Tiers, qui revendiquent le soutien du peuple, se proclament « Assemblée nationale » et mettent de facto un terme à la monarchie absolue de droit divin. Dans un premier temps, Louis XVI doit quitter le château de Versailles — il reste le dernier monarque à y avoir habité — pour Paris, et semble accepter de devenir un monarque constitutionnel. Mais avant la promulgation de la Constitution de 1791, la famille royale quitte la capitale et se voit arrêtée à Varennes. L'échec de cette fuite a un retentissement important dans l'opinion publique, jusque-là peu hostile au souverain, et marque une fracture entre conventionnels.
Devenu roi constitutionnel, Louis XVI nomme et gouverne avec plusieurs ministères, feuillant puis girondin. Il contribue activement au déclenchement d'une guerre entre les monarchies absolues et les révolutionnaires, en . La progression des armées étrangères et monarchistes vers Paris provoque, lors de la journée du 10 août 1792, son renversement par les sections républicaines, puis l’abolissement de la monarchie le mois suivant. Emprisonné puis jugé coupable d'intelligence avec l'ennemi, celui qui est appelé par les révolutionnaires « Louis Capet » est condamné à mort et guillotiné sur la place de la Révolution à Paris. La reine et la sœur du roi Élisabeth connaissent le même sort quelques mois plus tard.
Néanmoins, la royauté ne disparaît pas avec lui : après s’être exilés, ses deux frères cadets règnent sur la France sous les noms de Louis XVIII et Charles X, entre 1814 et 1830. Le fils de Louis XVI, emprisonné à la prison du Temple, avait été reconnu roi de France sous le nom de « Louis XVII » par les monarchistes, avant de mourir dans sa geôle en 1795, sans avoir jamais régné.
Après l'avoir d'abord considéré soit comme un traître à la patrie soit comme un martyr, les historiens français adoptent globalement une vue nuancée de la personnalité et du rôle de Louis XVI, en s'accordant généralement sur le fait que son caractère n'était pas à la hauteur des circonstances exceptionnelles de la période révolutionnaire.
Louis XVI, roi de France de 1774 à 1792. Huile sur toile (1776) de Joseph Siffred Duplessis. (Musée national du château de Versailles.)
Louis-Auguste de France naît au château de Versailles le à 6 h 24 du matin.
Il est le cinquième enfant et troisième fils du dauphin Louis de France (1729-1765), le quatrième avec sa seconde épouse Marie-Josèphe de Saxe. De l'union de ce couple sont nés au total huit enfants :
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Marie-Zéphyrine de France (1750-1755) ;
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Louis de France (1751-1761), duc de Bourgogne ;
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Xavier de France (1753-1754), duc d'Aquitaine ;
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Louis-Auguste de France, duc de Berry, futur Louis XVI ;
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Louis Stanislas Xavier de France (1755-1824), comte de Provence, qui deviendra roi sous le nom de Louis XVIII en 1814 (reconnu comme tel dès la mort de Louis XVII en 1795 par certaines puissances européennes) ;
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Charles Philippe de France (1757-1836), comte d'Artois, qui deviendra roi sous le nom de Charles X à la mort du précédent ;
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Clotilde de France (1759-1802), reine de Sardaigne de 1796 à 1802 par son mariage avec le roi Charles-Emmanuel IV de Sardaigne ;
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Élisabeth de France (1764-1794), elle partage jusqu'aux derniers instants le sort de la famille royale. Elle est guillotinée.
D'un premier mariage avec Marie-Thérèse d'Espagne, Louis avait eu une fille Marie-Thérèse de France (1746-1748).
De nombreuses personnes sont là pour constater la venue du nouveau-né : l'accoucheur de la famille royale Jard ; le chancelier Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil, le garde des sceaux Jean-Baptiste de Machault d'Arnouville et le contrôleur général des finances Jean Moreau de Séchelles, des porteurs, gardes du corps et la sentinelle. Le dauphin, en robe de chambre, accueille chacun en disant : « Entrez, mon ami, entrez vite, pour voir accoucher ma femme. »
Peu avant la naissance, Binet, le premier valet de chambre du dauphin, a dépêché auprès de Louis XV, le grand-père du futur bébé, un piqueur de la Petite Écurie pour lui annoncer la naissance imminente alors que le roi avait pris ses quartiers d'été au château de Choisy-le-Roi. Juste après la naissance, le dauphin envoya quant à lui l'un de ses écuyers M. de Montfaucon annoncer cette fois-ci la nouvelle de la naissance proprement dite. Sur la route, Montfaucon croisa le piqueur qui, tombé de cheval puis mort peu de temps après, n'avait pu porter le premier message. L'écuyer apporta donc au roi les deux messages simultanément : celui de la naissance à venir et celui de la naissance survenue. Ainsi averti, Louis XV donna 10 louis au piqueur et 1 000 livres à l'écuyer avant de se rendre immédiatement à Versailles.
Immédiatement après sa naissance, le bébé est ondoyé à l'église Notre-Dame de Versailles par Sylvain-Léonard de Chabannes (1718-1812), aumônier du roi.
Quand le roi entre dans la chambre, il saisit le nouveau-né et le prénomme Louis-Auguste avant de le nommer immédiatement duc de Berry. Le bébé est aussitôt confié à la comtesse de Marsan, gouvernante des enfants de France, avant d'être conduit dans son appartement par Louis François Anne de Neufville de Villeroy, duc de Villeroy et capitaine des gardes du corps du roi.
La nouvelle de la naissance est annoncée aux souverains d'Europe alliés de la couronne ainsi qu'au pape Benoît XIV. Vers 13 heures, le roi et la reine Marie Leszczyńska assistent à un Te Deum dans la chapelle du château. Les cloches des églises de Paris se mettent à sonner et, le soir, un feu d'artifice est tiré de la place d'armes et allumé de la main du roi au moyen d'une « fusée courante », de son balcon.
Le nouveau-né souffre d'une santé assez fragile durant les premiers mois de sa vie. On dit de lui qu'il a un « tempérament faible et valétudinaire ». Sa nourrice, qui est aussi la maîtresse du marquis de La Vrillière, ne donne pas assez de lait. Sur l'insistance de la dauphine, elle est remplacée par Madame Mallard. Du au , le duc de Berry et son frère aîné, le duc de Bourgogne, sont envoyés au château de Bellevue sur les conseils du médecin genevois Théodore Tronchin, afin d'y respirer un air plus sain qu'à Versailles.
À l'instar de ses frères, le duc de Berry a pour gouvernante la comtesse de Marsan, gouvernante des enfants royaux. Cette dernière favorise, d'une part, le duc de Bourgogne en tant qu'héritier du trône, et d'autre part le comte de Provence, qu'elle préfère à ses frères. Se sentant délaissé, le duc de Berry ne la portera jamais vraiment dans son cœur et, une fois sacré roi, il refusera toujours d'assister aux fêtes qu'elle organisait pour la famille royale. La gouvernante est notamment chargée d'apprendre aux enfants la lecture, l'écriture et l'histoire sainte. Leurs parents surveillent de près cette éducation, la dauphine leur enseignant l'histoire des religions et le dauphin les langues et la morale. Il leur apprend notamment que « tous les hommes sont égaux par droit de nature et aux yeux de Dieu qui les a créés ».
En tant que petit-fils du roi, le duc de Berry est tenu comme ses frères à un certain nombre d'obligations et de rituels : ils assistent tant aux enterrements royaux (qui ne manquent pas entre 1759 et 1768) qu'aux mariages des personnages importants de la cour et se doivent d'accueillir malgré leur jeune âge les souverains étrangers et les hommes d'Église notamment. C'est ainsi qu'en , trois nouveaux cardinaux leur rendent visite : « Bourgogne (âgé de 5 ans) les reçut, écouta leurs discours et les harangua, tandis que Berry (22 mois) et Provence (6 mois), gravement assis sur des fauteuils, avec leur robe et leur petit bonnet, imitaient les gestes de leurs aînés ».
En grandissant, les petits-fils du roi doivent passer des jupons de leur gouvernante aux mains d'un gouverneur chargé de l'ensemble des activités éducatives. Après avoir pensé au comte de Mirabeau (père du futur révolutionnaire), le dauphin choisit pour ses enfants en 1758 un homme plus proche des idées monarchiques : le duc de La Vauguyon, prince de Carency et pair de France. Ce dernier appellera ses élèves les « Quatre F » : le Fin (duc de Bourgogne), le Faible (duc de Berry), le Faux (comte de Provence) et le Franc (comte d'Artois)13. La Vauguyon est assisté de quatre adjoints : Jean-Gilles du Coëtlosquet (précepteur), André-Louis-Esprit de Sinéty de Puylon (sous-gouverneur), Claude-François Lizarde de Radonvilliers (sous-précepteur) et Jean-Baptiste du Plessis d'Argentré (lecteur). Le dauphin demande à La Vauguyon de s'appuyer sur les Saintes Écritures et le modèle d'Idoménée, héros du Télémaque de Fénelon : « Vous y trouverez tout ce qui convient à la direction d'un roi qui veut remplir parfaitement tous les devoirs de la royauté ». Ce dernier aspect est privilégié car le futur Louis XVI (et ses frères cadets), n'étant pas destiné à ceindre la couronne, est tenu à l'écart des affaires, on ne lui apprend pas à gouverner.
L'usage de la cour était que les enfants royaux passassent de leur gouvernante au gouverneur à l'âge de 7 ans. C'est ainsi que le duc de Bourgogne est remis au duc de La Vauguyon le , peu avant son septième anniversaire, quittant ainsi les robes d'enfant pour les habits masculins. Cette séparation d'avec sa gouvernante est difficile pour elle comme pour lui, et le duc de Berry se trouve lui aussi attristé par ce déchirement soudain. Le duc de Bourgogne est admiré par ses parents et par la cour. Intelligent et sûr de lui, il n'en demeure pas moins capricieux et convaincu de sa supériorité. Il questionne un jour ses proches en leur disant « Pourquoi ne suis-je pas né Dieu ? » Tout semble montrer qu'il sera un grand roi.
Un événement anodin va pourtant changer la destinée de la famille royale : au printemps 1760, le duc de Bourgogne tombe du haut d'un cheval en carton qu'on lui avait offert quelque temps plus tôt. Il se met à boiter et les médecins lui découvrent une grosseur à la hanche. L'opération qu'il subit n'y fait rien. Le prince est alors condamné à rester dans sa chambre et ses études sont interrompues. Il souhaite pour être consolé retrouver son petit frère, le duc de Berry. C'est ainsi que dès 1760, le futur roi passe exceptionnellement aux mains du gouverneur avant d'atteindre l'âge de 7 ans. La Vauguyon recrute pour lui un second sous-précepteur. Les deux frères sont dès lors éduqués ensemble, le duc de Bourgogne se distrayant en collaborant à l'éducation de son jeune frère, et ce dernier s'intéressant davantage à la géographie et aux arts mécaniques. L'état de santé du duc de Bourgogne s'aggrave néanmoins et on lui diagnostique en une double tuberculose (pulmonaire et osseuse). La cour doit se rendre à l'évidence : la mort du prince est aussi imminente qu'inéluctable. Ses parents se trouvent dans « un accablement de douleur qu'on ne peut se représenter. » Dans l'urgence, l'enfant est baptisé le , fait sa première communion le lendemain et reçoit l'extrême-onction le avant de mourir en odeur de sainteté le suivant, en l'absence de son petit-frère, alité lui aussi par une forte fièvre
La mort du duc de Bourgogne est vécue comme un drame pour le dauphin et la dauphine. Cette dernière déclarera : « rien ne peut arracher de mon cœur la douleur qui y est gravée à jamais ». On installe le duc de Berry dans les appartements de son grand frère.
Le , le même jour que son frère Louis Stanislas Xavier, Louis Auguste est baptisé par l'archevêque Charles Antoine de La Roche-Aymon dans la chapelle royale du château de Versailles, en présence de Jean-François Allart (1712-1775), curé de l'église Notre-Dame de Versailles. Son parrain est son grand-père Auguste III de Pologne, représenté par Louis-Philippe, duc d'Orléans, et sa marraine est Marie Adélaïde de France.
Louis-Auguste se distingue déjà par une grande timidité ; certains y voient un manque de caractère, comme le duc de Croÿ en 1762 : « Nous remarquâmes que des trois Enfants de France, il n'y avait que Monsieur de Provence qui montrât de l'esprit et un ton résolu. Monsieur de Berry, qui était l'aîné et le seul entre les mains des hommes, paraissait bien engoncé. » Il se montre néanmoins parfois à son aise devant les historiens et philosophes se présentant à la cour. Il fait également preuve d'humour et de repartie. La Vauguyon et le prédicateur Charles Frey de Neuville remarquent même chez le jeune homme d'assez grandes qualités pour en faire un bon roi.
Sur le plan intellectuel, Berry est un élève doué et consciencieux. Il excelle dans les matières suivantes : géographie, physique, écriture, morale, droit public, histoire, danse, dessin, escrime, religion et mathématiques. Il apprend plusieurs langues (latin, allemand, italien et anglais) et savoure quelques grands classiques de la littérature comme La Jérusalem délivrée, Robinson Crusoé ou encore Athalie de Jean Racine. Son père se montre néanmoins intransigeant et le prive parfois de chasse au moindre relâchement. Élève studieux, il se passionne pour plusieurs disciplines scientifiques. Selon l'historien français Ran Halévi : « Louis XVI a reçu l’éducation d’un « prince des Lumières » — C’était un monarque éclairé ». Les professeurs d'histoire Philippe Bleuzé et Muriel Rzeszutek précisent que : « Louis XVI connaissait le latin, l’allemand, l’espagnol, maîtrisait l’anglais parfaitement, pratiquait la logique, la grammaire, la rhétorique, la géométrie, l’astronomie. Il avait une culture historique et géographique incontestable et des compétences en économie ». Ils estiment qu’« il est très influencé par Montesquieu, qui lui inspire une conception moderne de la monarchie détachée du droit divin ».
Le destin du duc de Berry allait encore être bouleversé par un événement anodin. Le , le dauphin son père fait une visite à l'abbaye de Royallieu et revient à Versailles sous la pluie. D'une santé déjà précaire et affublé d'un rhume, il est pris d'une violente fièvre. Il parvient à faire transporter la cour au château de Fontainebleau pour changer d'air, mais rien n'y fait et son état empire au fil des mois. Après une agonie de 35 jours, le dauphin meurt le à l'âge de 36 ans.
À la mort de son père, le duc de Berry devient donc dauphin de France. Il a 11 ans et a vocation à succéder immédiatement au roi, son grand-père, qui en a 56.
Louis-Auguste est désormais dauphin, mais ce changement de statut ne l'exonère pas de poursuivre son éducation, bien au contraire. La Vauguyon recrute un adjoint supplémentaire pour enseigner au dauphin la morale et le droit public : le père Guillaume François Berthier. Le gouverneur incite le duc de Berry à penser de lui-même en lui appliquant la méthode du libre examen. Pour ce faire, il lui demande de rédiger dix-huit maximes morales et politiques ; le dauphin s'y emploie avec efficacité et parvient à y prôner notamment le libre commerce, la récompense des citoyens ou encore l'exemple moral que se doit d'afficher le roi (allusion à peine voilée aux frasques de Louis XV). L'ouvrage est récompensé par La Vauguyon, qui le fait même imprimer. Le dauphin rédige même un ouvrage dans lequel sont relatées les idées inspirées par son gouverneur : Réflexions sur mes Entretiens avec M. le duc de La Vauguyon ; il y forge notamment sa vision de la monarchie en énonçant par exemple que les rois eux-mêmes « sont responsables de toutes les injustices qu'ils n'ont pas pu empêcher ». Sa mère tempère cet élan libéral en lui inculquant plus encore les préceptes de la religion catholique ; c'est ainsi que le dauphin reçoit le sacrement de confirmation le et fait sa première communion le suivant. En grandissant, Berry commence à sortir davantage et pratique l'équitation. Il commence également à se passionner pour l'horlogerie et la serrurerie, deux loisirs qui ne le quitteront plus. L'abbé Jacques-Antoine Soldini vient conforter l'éducation religieuse du jeune homme.
L'éducation proprement dite du dauphin s'arrêtera avec son « établissement », c'est-à-dire son mariage. Celui-ci sera célébré à Versailles le avec la jeune Marie-Antoinette d'Autriche. À cette occasion, l'abbé Soldini adresse au dauphin une longue lettre de conseils et recommandations pour sa vie à venir, et notamment sur les « mauvaises lectures » à éviter et sur l'attention à porter à son alimentation. Il l'exhorte enfin à toujours rester ponctuel, bon, affable, franc, ouvert mais prudent dans ses paroles . Soldini deviendra plus tard le confesseur du dauphin devenu roi.
Pastel de Marie-Antoinette réalisé par Joseph Ducreux en 1769 à l'intention du Dauphin afin qu'il puisse faire connaissance de sa future épouse.
Le mariage du dauphin est envisagé dès l'année 1766 par Étienne-François de Choiseul alors que le futur roi n'a que 12 ans. Le royaume de France étant sorti fragilisé de la guerre de Sept Ans, le secrétaire d'État trouve judicieuse l'idée de s'allier avec l'Autriche face au puissant royaume de Grande-Bretagne. Le roi est convaincu du projet, et dès le , l'ambassadeur d'Autriche à Paris écrit à l'archiduchesse Marie-Thérèse qu'elle « peut de ce moment regarder comme décidé et assuré le mariage du dauphin et de l'archiduchesse Marie-Antoinette ». La mère du dauphin fait néanmoins suspendre le projet dans le but de maintenir la cour de Vienne dans l'expectative, « entre la crainte et l'espérance ». « Suspendre » est le terme approprié, puisqu'elle meurt quelques mois plus tard, le . Le projet de mariage est alors remis sur la table.
Peu après la mort de Marie-Josèphe de Saxe, le marquis de Durfort est envoyé en mission à Vienne pour convaincre l'archiduchesse et son fils des bienfaits politiques de cette union. Les négociations durent plusieurs années, et l'image donnée par le dauphin n'est pas toujours reluisante : Florimond de Mercy-Argenteau, l'ambassadeur d'Autriche à Paris, lui signale notamment que la « nature semble avoir refusé tout don à Monsieur le Dauphin, […], par sa contenance et ses propos ce prince n'annonce qu'un sens très borné, beaucoup de disgrâce et nulle sensibilité ». Malgré ces avis, et malgré le jeune âge des intéressés (15 ans pour Louis-Auguste et 14 pour Marie-Antoinette), l'impératrice voit dans ce mariage l'intérêt de son pays et y donne son accord. Le , Marie-Antoinette renonce officiellement à la succession du trône autrichien et, le , une cérémonie nuptiale est célébrée à Vienne, le marquis de Durfort signant l'acte de mariage au nom du dauphin.
Marie-Antoinette part pour la France le au cours d'un voyage qui durera plus de 20 jours accompagnée d'un cortège d'une quarantaine de véhicules. Le cortège arrive à Strasbourg le . La cérémonie de « remise de l'épouse » s'effectuera au milieu du Rhin, à égale distance entre les deux rives, sur l'Île aux Épis. Dans un pavillon construit sur cet îlot, la jeune femme troque ses vêtements autrichiens pour des vêtements français, avant de ressortir outre-Rhin, vers un cortège français et à côté de la comtesse de Noailles, sa nouvelle dame d'honneur. La rencontre entre le dauphin et sa future épouse a lieu le , au pont de Berne, dans la forêt de Compiègne. Le roi, le dauphin et la cour sont là pour accueillir le cortège. À sa descente du carrosse, la future dauphine fait la révérence au roi et est présentée par lui au duc de Berry, lequel lui fait un discret baiser sur la joue. Le carrosse royal emmène ensuite le roi, le dauphin et sa future épouse au château de Compiègne, où une réception officielle est organisée le soir même pour présenter la future dauphine aux principaux membres de la cour. Le lendemain, le cortège s'arrête au carmel de Saint-Denis où Madame Louise s'est retirée depuis quelques mois, puis il se rend au château de la Muette pour présenter sa future épouse au comte de Provence et au comte d'Artois, et où elle fait connaissance avec la nouvelle et dernière favorite du roi, la comtesse du Barry.
Le mariage officiel est célébré le lendemain à la chapelle du château de Versailles, en présence de 5 000 invités. Là, Marie-Antoinette traverse la galerie des glaces en compagnie du roi et de son futur époux jusqu'à la chapelle. Le mariage est béni par Charles Antoine de La Roche-Aymon, archevêque de Reims. Le dauphin, ceint du cordon bleu de l'ordre du Saint-Esprit, passe l'anneau au doigt de sa femme et obtient du roi le signe rituel d'assentiment. Puis, les époux et témoins signent les registres paroissiaux. Dans l'après-midi, les Parisiens venus nombreux assister au mariage sont autorisés à se promener dans le parc du château où les jeux d'eau ont été actionnés. Le feu d'artifice prévu le soir même a été annulé à cause d'un violent orage. Le dîner est organisé dans la toute nouvelle salle de spectacle du château ; le repas est accompagné par 24 musiciens habillés à la turque. Les époux, eux, mangent très peu. Peu après minuit, ils sont accompagnés à la chambre nuptiale. L'archevêque bénit le lit, le dauphin reçoit sa chemise nuptiale des mains du roi et la dauphine des mains de Marie-Adélaïde de Bourbon, duchesse de Chartres, la plus haut placée des femmes mariées de la cour. L'assistance assiste au coucher des époux, le roi lance quelques grivoiseries et les mariés sont laissés à eux-mêmes. Le mariage n'est pas consommé cette nuit-là, mais sept années plus tard.
Les noces continuent d'être célébrées les jours suivants : les époux assistent à des opéras (Persée de Lully), des pièces de théâtre (Athalie, Tancrède et Sémiramis). Ils ouvrent le bal organisé en leur honneur le . Les festivités se terminent le où l'on a prévu de tirer un feu d'artifice depuis la Place Louis XV (là où quelques années plus tard le roi Louis XVI et son épouse seront guillotinés). Seule la dauphine a fait le déplacement, le roi ayant voulu rester à Versailles et le dauphin étant devenu las de ces festivités. Alors que Marie-Antoinette et Mesdames débouchent sur le Cours la Reine, on leur demande de rebrousser chemin. Ce n'est que le lendemain que la dauphine apprendra ce qui s'est passé : durant le feu d'artifice, un incendie s'est déclaré rue Royale, créant un mouvement de panique ; de nombreux passants ont été écrasés par des voitures et piétinés par des chevaux. Le bilan officiel fait état de 132 morts et des centaines de blessés. Les jeunes époux sont atterrés. Le dauphin écrit aussitôt au lieutenant général de police Antoine de Sartine : « J'ai appris les malheurs arrivés à mon occasion ; j'en suis pénétré. On m'apporte en ce moment ce que le Roi me donne tous les mois pour mes menus plaisirs. Je ne puis disposer que de cela. Je vous l'envoie : secourez les plus malheureux ». La lettre est accompagnée d'une somme de 6 000 livres.
Gravure du mariage de l'archiduchesse Marie-Antoinette avec le dauphin, futur Louis XVI, le 16 mai 1770.
La consommation du mariage du dauphin, loin d'être une affaire privée, va rapidement devenir une affaire d'État : par sa descendance, ce n'est pas uniquement sa famille mais la monarchie tout entière que le futur roi doit pérenniser. Mais cette consommation ne sera effective que le , soit plus de 7 ans après le mariage du dauphin.
Pourquoi une telle attente ? Selon l'écrivain Stefan Zweig, Louis-Auguste est le seul responsable. Victime d'une malformation des organes génitaux, il aurait tenté chaque nuit d'accomplir son devoir conjugal, en vain. Ces échecs quotidiens se répercutent dans la vie de cour, le dauphin devenu roi étant incapable de prendre des décisions importantes et la reine compensant son malheur dans des bals et des fêtes. L'auteur avance même que le roi est « incapable de virilité » et qu'il lui est donc impossible « de se comporter en roi ». Puis, toujours selon l'auteur, la vie du couple est rentrée dans l'ordre le jour où Louis XVI a enfin daigné accepter de faire confiance à la chirurgie. Néanmoins selon Simone Bertière, l'une des biographes de Marie-Antoinette, cette infirmité physique n'a pas été la cause de la longue abstinence des époux, puisque le dauphin ne souffrait justement d'aucune infirmité de ce type. Certes, dès (soit deux mois seulement après le mariage), le roi Louis XV profite d'une absence momentanée du dauphin pour convoquer Germain Pichault de La Martinière, un chirurgien alors réputé. Il lui pose deux questions médicales très précises : « Le jeune prince souffre-t-il d'un phimosis et est-il nécessaire de le circoncire ? Ses érections sont-elles entravées par un frein trop court ou trop résistant qu'un simple coup de lancette pourrait libérer ? ». Le chirurgien est clair : « le dauphin n'a aucun défaut naturel qui s'oppose à la consommation du mariage. » Le même chirurgien le redira deux ans plus tard en disant que « nul obstacle physique ne s'oppose à la consommation ». L'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche s'empare du sujet, refusant de croire que sa fille pourrait être la cause de cet échec, disant « Je ne saurais me persuader que c'est de sa part que cela manque ». En , devenu roi, Louis XVI se fait à nouveau examiner, cette fois-ci par Joseph-Marie-François de Lassone, médecin de la cour ; et en , c'est au docteur Moreau, chirurgien à l'Hôtel-Dieu de Paris, que revient la tâche d'examiner à nouveau le souverain. Les deux médecins sont formels : l'opération n'est pas nécessaire, le roi n'a aucune malformation.
Les docteurs Lassone et Moreau avancent néanmoins plusieurs raisons à ce retard conjugal, le premier parlant d'une « timidité naturelle » du monarque et le second d'un corps fragile qui semble néanmoins « prendre plus de consistance ». D'autres auteurs, comme le biographe Bernard Vincent, dénoncent quant à eux les coutumes de la cour qui, ajoutées à la timidité du roi et à la fragilité de son corps, ne pouvaient que retarder le moment suprême. En effet, les époux vivent dans des appartements séparés, et seul le roi a le droit de rendre visite à son épouse quand il s'agit de remplir le devoir conjugal. Une fois devenu roi, Louis XVI vit dans des appartements encore plus éloignés de ceux de sa femme qu'auparavant, et les allées et venues vers son épouse se font toujours sous le regard de courtisans curieux, notamment par la traversée du salon de l'Œil-de-bœuf. L'auteur ajoute que l'éducation prude et pudibonde des deux jeunes époux, au moment où ils étaient éduqués chacun dans leur pays, ne les avait pas disposés à s'abandonner du jour au lendemain aux audaces des relations conjugales. Car les adolescents, en étant tenus de passer leur première nuit ensemble, furent subitement confrontés à la vie adulte sans y avoir été préalablement préparés. Et ni leur éducation, ni leur corps à peine pubère ne pouvaient les aider à surmonter cette étape. Peu confident et peu romantique, Louis XVI trouvera refuge dans l'une de ses activités préférées : la chasse.
Les mois et les années passent sans que de réels progrès soient perçus, le couple delphinal et ensuite royal commençant à s'habituer à cette situation. Marie-Antoinette voit dans cette période une occasion de « jouir un peu du temps de la jeunesse », explique-t-elle à Mercy-Argenteau37. Un semblant de consommation survient en où la dauphine confie à sa mère : « je crois le mariage consommé mais pas dans le cas d'être grosse »37. Le dauphin se précipite quant à lui chez le roi pour lui annoncer la nouvelle. Il semble en vérité que le dauphin n'a pu que déflorer son épouse sans aller jusqu'au bout. L'attente est récompensée le . Le suivant, la princesse écrit à sa mère : « Je suis dans le bonheur le plus essentiel pour toute ma vie. Il y a déjà plus de huit jours que mon mariage est consommé ; l'épreuve a été réitérée, et encore hier soir plus complètement que la première fois [...]. Je ne crois pas être grosse encore mais au moins j'ai l'espérance de pouvoir l'être d'un moment à l'autre »37. L'accomplissement du devoir conjugal portera son fruit à quatre reprises puisque le couple royal aura autant d'enfants, sans compter une fausse couche en : Marie-Thérèse Charlotte (née en 1778), Louis-Joseph (né en 1781), Louis-Charles (né en 1785) et Marie-Sophie-Béatrice (née en 1786). Après ces quatre naissances, les époux n'entretiendront plus de relations conjugales. Ces échecs et cette nouvelle abstinence donneront au roi l'image d'un roi soumis aux volontés de sa femme. La longue route vers la consommation a terni au fil du temps l'image du couple. Et l'écrivain Simone Bertière d'affirmer : « une chasteté volontaire, respectueuse du sacrement conjugal, aurait pu être portée à son [celui de Louis XVI] crédit après le libertinage de son grand-père. Mais le ridicule des années stériles collera à son image, tandis que celle de la reine ne se remettra pas de sa course imprudente aux plaisirs frelatés ».
Entre le mariage du dauphin et son sacre s'écoulent quatre années, pendant lesquelles Louis-Auguste est resté volontairement éloigné du pouvoir par le roi, comme ce dernier le faisait auparavant avec son propre fils. Il met donc son temps à profit pour les cérémonies officielles, la chasse (à courre ou au fusil), la fabrication de clés et de serrures et les salons de Mesdames. C'est dans ceux-ci que le dauphin rencontre ses tantes et ses frères accompagnés le moment venu par leur épouse. Les jeux, divertissements et pièces de théâtre du répertoire français y occupent une place importante. Chaque participant y fait souvent l'acteur, y compris la dauphine ; le dauphin, lui, y est peu enclin.
Le couple se montre volontiers en public, notamment en prodiguant quelques instants de réconfort auprès des plus pauvres. L'historien Pierre Lafue écrit que « populaires sans l'avoir cherché, les deux époux frémissaient de joie en écoutant les acclamations monter vers eux, dès qu'ils paraissaient en public ». Leur première visite officielle à Paris et au peuple parisien se déroule le . Lors de cette journée, le couple a reçu un accueil des plus chaleureux et la foule nombreuse n'a cessé de les acclamer. Au programme de cette longue journée, Louis-Auguste et son épouse ont été reçus à Notre-Dame, sont montés prier devant la châsse de Sainte Geneviève dans l'abbaye du même nom avant de finir par une promenade dans les Tuileries, ouvertes à tous pour l'occasion . L'ambassadeur de Mercy résume la journée en affirmant que « cette entrée est d'une grande conséquence pour fixer l'opinion publique ». Le couple prend goût à ces accueils triomphaux et n'hésite pas, dans les semaines suivantes, à sortir à l'Opéra, à la Comédie-Française ou encore à la Comédie-Italienne.
Louis XV meurt à Versailles le à l'âge de 64 ans, de la petite vérole.
Les premiers symptômes de la maladie apparaissent le précédent. Ce jour-là, le roi est à Trianon et a prévu d'aller chasser avec son petit-fils, le duc de Berry. Se sentant fiévreux, le monarque suit la chasse à bord d'une calèche. Quelques heures plus tard, son état s'aggrave et La Martinière lui ordonne de retourner à Versailles. Il y subit une saignée mais celle-ci ne produit aucun effet ; deux jours plus tard, le , les médecins font savoir que le roi a contracté la variole, comme plusieurs membres de sa famille auparavant (notamment Hugues Capet ou encore le Grand Dauphin). Pour éviter la contagion, le dauphin et ses deux frères sont maintenus à distance de la chambre royale. Le visage du roi est couvert de pustules le . Ne se faisant plus guère d'illusions sur son état de santé, il fait venir son confesseur, l'abbé Louis Maudoux, dans la nuit du . L'Extrême-Onction lui est administrée le au soir.
Vers 16 heures le lendemain, le roi rend son dernier soupir. Le duc de Bouillon, grand chambellan de France, descend alors dans le salon de l'Œil-de-bœuf pour y crier la célèbre formule : « Le roi est mort, vive le roi ! » Entendant cela de l'autre bout du château, le tout nouveau monarque jette un grand cri et voit accourir vers lui les courtisans venus le saluer ; parmi eux la comtesse de Noailles, qui sera la première à lui décerner le titre de Majesté. Le roi s'écrie : « Quel fardeau ! Et l'on ne m'a rien appris ! Il me semble que l'univers va tomber sur moi ! » La reine Marie-Antoinette aurait quant à elle soupiré : « Mon Dieu ! protégez-nous, nous régnons trop jeunes ».
Aussitôt après la mort de Louis XV, la cour se réfugie provisoirement au château de Choisy-le-Roi, afin d'éviter tout risque de contagion et de quitter l'atmosphère empuantie du château de Versailles. C'est à cette occasion que le nouveau roi prend l'une de ses premières décisions : celle d'inoculer l'ensemble de la famille royale contre la variole. Le but de cette opération est d'administrer à très faible dose dans le corps humain des substances contaminées, le sujet devenant par la suite immunisé à vie. Néanmoins, le risque est réel puisqu'une dose trop importante peut faire contracter la maladie et par là causer la mort du patient. Le , le roi reçoit donc cinq injections et ses frères seulement deux chacun. Les premiers symptômes de la variole apparaissent rapidement chez le roi : il souffre de douleurs aux aisselles le , est pris de fièvre et de nausée le 24 ; quelques boutons apparaissent le 27 et une légère suppuration survient le 30. Mais la fièvre retombe le et le roi est définitivement hors de danger. L'opération est donc un succès, tant pour lui que pour ses deux frères chez qui les symptômes ont été presque imperceptibles.
Parmi les premières décisions notables du nouveau monarque, nous pouvons en relever trois autres : il fait enfermer Madame du Barry et prend le nom de Louis XVI et non celui de Louis-Auguste Ier comme la logique le voudrait, afin de se placer dans la lignée de ses prédécesseurs. Enfin, il convoque tous les ministres en place, intendants de province et commandants des forces armées neuf jours plus tard. Pour l'heure, il s'isole dans son bureau pour travailler, correspondre avec les ministres, lire des rapports et écrire des lettres aux monarques européens.
L'économie du Royaume de France était entrée en récession depuis 1770. Ainsi, Louis XVI commence immédiatement à diminuer les dépenses de la cour : il diminue les « frais de bouche » et les frais de garde-robe, le département des Menus-Plaisirs, les équipages de chasse comme ceux du daim et du sanglier, la Petite Écurie (passant ainsi le contingent de 6 000 à 1 800 chevaux), et enfin le nombre de mousquetaires et de gendarmes affectés à la protection du roi. Son frère le comte d'Artois le soupçonne d'avarice en le qualifiant de « Roi de France et avare ». Le roi fait profiter les plus pauvres de ces économies en faisant distribuer 100 000 livres aux Parisiens particulièrement démunis. De surcroît son premier édit, daté du , exempta ses sujets du « don de joyeux avènement », impôt perçu lors de l'accession au trône d'un nouveau roi, et dont le montant s'élevait à vingt-quatre millions de livres. D'après Metra, « Louis XVI semble promettre à la nation le règne le plus doux et le plus fortuné »
Jeanne Bécu, dite aussi Jeanne Bécu de Cantigny ou Jeanne Gomard de Vaubernier, née le à Vaucouleurs et morte guillotinée le à Paris, est la dernière favorite du roi Louis XV entre 1768 et 1774. Devenue comtesse par mariage, l'histoire l'a retenue sous son titre de Madame la comtesse du Barry ou Jeanne du Barry.
Née roturière à Vaucouleurs, sa grande beauté en fait une personnalité importante du demi-monde parisien, plusieurs hommes de la haute noblesse française sont de ses amants et lui apprennent les manières de la Cour. Elle a comme amant le comte du Barry-Cérès, qui souhaite lui faire rencontrer Louis XV en 1768, afin qu'elle soit sa maîtresse et profiter d'avantages. Comme elle est sans noblesse, le comte du Barry-Cérès lui fait épouser son frère, le comte Guillaume du Barry, pour qu'elle puisse être présentée à la noblesse de Versailles.
Bien que désirant ne pas se mêler de politique, elle est malgré elle au milieu des rivalités qui opposent ses amis, le duc d'Aiguillon et le maréchal-duc de Richelieu, au duc de Choiseul, principal ministre d'État de Louis XV. La comtesse Jeanne du Barry mène une grande vie à la Cour, appréciée pour son esprit et son mécénat, mais détestée pour ses origines et son statut de maîtresse royale. Cela lui vaudra aussi l'animosité affichée de la jeune dauphine de France Marie-Antoinette d'Autriche, influencée par Mesdames, filles du roi, provoquant une crise politique entre la France et l'Autriche. Malgré des tentatives de réconciliation entre les deux femmes, toutes échoueront.
Au lendemain du décès de Louis XV le , le nouveau roi Louis XVI l'oblige à quitter la Cour. Elle mène une vie d'exil au château de Louveciennes, gérant son domaine, sa famille et recevant les grands noms de France et de l'Europe. Elle y vit une grande histoire d'amour avec le duc de Brissac. Au moment où éclate la révolution française de 1789, Madame du Barry se montre enthousiaste des réformes nécessaires à la société française. Plutôt insouciante, elle reste en contact avec les Émigrés qui sont en Angleterre, la péninsule italienne, le Saint-Empire…
La comtesse du Barry est un peu oubliée, mais le cambriolage de Louveciennes dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791 attire l'attention sur elle ; on retrouve ses bijoux volés en Angleterre, et un procès s'ouvre à Londres. Durant la période de la Terreur, ses traversées de la Manche la rendent suspecte auprès du Comité de Salut public, elle est accusée d'avoir secrètement pris le parti de la contre-révolution. Emprisonnée le à la prison Sainte-Pélagie, elle est victime d'un procès expéditif où elle se défend mal, et où Antoine Fouquier-Tinville l'accable. Madame du Barry est guillotinée le sur la place de la Révolution.
Le , en la cathédrale de Reims, il est sacré selon la tradition remontant à Pépin le Bref. Le dernier sacre, celui de Louis XV, a eu lieu le ; depuis, le principe même de cette cérémonie a été très critiqué par le mouvement des Lumières : L'Encyclopédie et les philosophes critiquent le rituel, n'y voyant qu'un exacerbation du pouvoir de Dieu et une comédie destinée à maintenir les peuples dans l'obéissance. Le contrôleur général des finances, Turgot, reproche au monarque cette cérémonie coûteuse évaluée à 760 000 livres ; peu de temps auparavant, Nicolas de Condorcet a écrit à Turgot pour lui demander de faire l'impasse sur « la plus inutile et la plus ridicule de toutes les dépenses » de la monarchie. Turgot pense alors à faire une sorte de sacre allégé, probablement près de la capitale, à Saint-Denis où à Notre-Dame, pour réduire les coûts. Cependant, pieux et très attaché à l'œuvre de ses prédécesseurs, même s'il est décidé à redresser la situation économique mal en point, le roi ne recule pas là-dessus et maintient la cérémonie avec autant de faste que prévu.
La cathédrale Notre-Dame de Reims, lieu emblématique des sacres des rois de France, est métamorphosée pour les festivités, un véritable bâtiment étant construit à l'intérieur, avec balustrade, colonnes, lustres, faux marbres... C'est aussi la première fois depuis Louis XIII que le roi est marié au moment de son sacre, ce qui rend possible le sacre de son épouse consort. Mais le dernier sacre d'une reine, celui de Marie de Médicis le à la basilique Saint-Denis, avait eu lieu comme un sombre présage, Henri IV ayant été assassiné le lendemain ; du reste la reine, dans la construction absolutiste du pouvoir, avait vu son importance politique diminuer. Décision est finalement prise de ne pas sacrer Marie-Antoinette. Elle assiste à la cérémonie depuis la plus grande des tribunes, avec les femmes importantes de la Cour.
La cérémonie est présidée par l'archevêque de Reims Charles Antoine de La Roche-Aymon, celui-là même qui avait baptisé et marié le dauphin. La cérémonie dure près de six heures - une loge permettant aux spectateurs de se reposer a été aménagée derrière la tribune de la reine ; toutes les étapes ont lieu, le lever du roi, l'entrée, le serment, le rituel de chevalerie, les onctions, la remise des insignes, le couronnement, l'intronisation, la grand-messe, l'hommage des pairs, la messe-basse et la sortie. Selon la tradition, le prélat prononce la formule suivante en posant la couronne de Charlemagne sur la tête du souverain : « Que Dieu vous couronne de la gloire et de la justice, et vous arriverez à la couronne éternelle ». Conformément au rituel, le roi se rend ensuite dans le parc de la ville pour guérir les écrouelles des quelque 2 400 scrofuleux venus pour l'occasion, leur adressant à chacun la formule cérémoniale : « Le roi te touche, Dieu te guérisse ».
Le couple royal gardera un très bon souvenir de la cérémonie et des festivités consécutives. Marie-Antoinette écrira à sa mère que « le sacre a été parfait [...]. Les cérémonies de l'Église [furent] interrompues au moment du couronnement par les acclamations les plus touchantes. Je n'ai pu y tenir, mes larmes ont coulé malgré moi, et on m'en a su gré [...]. C'est une chose étonnante et bien heureuse en même temps d'être si bien reçu deux mois après la révolte, et malgré la cherté du pain, qui malheureusement continue »
Préparation des états généraux
Les parlementaires, jouissant jusque-là d'une grande popularité, vont rapidement se déconsidérer auprès de l'opinion en dévoilant imprudemment leur conservatisme. Le en effet, le Parlement de Paris et d'autres parlements avec lui demandent que les états généraux soient convoqués en trois chambres séparées votant par ordre comme ce fut le cas lors des précédents États généraux de 1614, empêchant ainsi toute réforme d'ampleur.
Louis XVI et Necker sont en revanche partisans d'une forme plus moderne en encourageant le doublement du tiers état et le vote par tête (passant ainsi à un nombre de voix par député, et non par ordre qui aurait pour effet d'opposer le tiers-état, comptant pour une voix, au clergé et à la noblesse, comptant ainsi pour deux). Ils convoquent l'Assemblée des notables le pour traiter ces deux points ; au sein de cette assemblée se distinguent deux camps : celui des « patriotes » favorable au doublement du tiers et au vote par tête, et celui des « aristocrates », partisan des formes de 1614. L'assemblée des notables se réunit à Versailles à partir du . Hormis quelques députés tels que le comte de Provence, La Rochefoucauld et La Fayette, l'assemblée se prononce à une très large majorité en faveur des formes de 1614, les seules à être selon elle « constitutionnelles ». Le roi maintient sa position et se tourne à nouveau vers les parlements, l'avis de l'assemblée des notables n'étant que consultatif.
Le , le Parlement de Paris accepte le doublement du Tiers mais ne se prononce pas sur la question du vote par ordre ou par tête. Louis XVI se fâche et déclare aux parlementaires : « c'est avec l'assemblée de la Nation que je concerterai les dispositions propres à consolider, pour toujours, l'ordre public et la prospérité de l'État ». Le , le comte d'Artois remet à son frère le roi un mémoire condamnant le vote par tête. Le , après que Louis XVI a dissous l'assemblée des notables, le Conseil du roi se réunit et accepte officiellement le doublement du Tiers ; le système de vote, par ordre ou par tête, n'est pas encore réglé. Le décret royal précise en outre que l'élection des députés se fera par bailliage et à la proportionnelle ; de plus, il est décidé que de simples curés, en pratique proches des idées du tiers-état, pourront représenter le clergé.
Le paraissent les lettres royales donnant des précisions quant à l'élection des députés. Le roi y déclare notamment : « Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons ». Tout français de sexe masculin âgé d'au moins 25 ans et inscrit au rôle des contributions peut prendre part au vote. Pour la noblesse et le clergé, la circonscription est le bailliage et la sénéchaussée (suivant les régions) ; pour le tiers état, le suffrage s'opère en deux degrés à la campagne (assemblées de paroisse puis assemblées de chef-lieu) et en trois degrés dans les grandes agglomérations (assemblées de corporation, assemblées de ville et assemblées de bailliage ou de sénéchaussée).
Chaque assemblée de chef-lieu a pour mission de réunir les doléances dans un cahier dont un exemplaire est transmis à Versailles. La plupart des revendications qui y sont exprimées sont modérées et ne remettent pas en cause le pouvoir en place ni l'existence de la monarchie.
Les intellectuels dont Marat, Camille Desmoulins, l'Abbé Grégoire et Mirabeau, s'adonnent à la rédaction de nombreux pamphlets et articles. Parmi ces publications, celle de Sieyès intitulée Qu'est-ce que le Tiers-État ? rencontre un vif succès ; l'extrait suivant est resté célèbre :
« Qu'est-ce que le Tiers-État ? Le plan de cet Écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous poser :
1° Qu'est-ce que le Tiers-État ? Tout.
2° Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l’ordre politique ? Rien.
3° Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »
Le , sont reçus à Versailles l'ensemble des députés. Sur un total de 1 165, 1 139 sont présents (les députés de Paris n'étant pas encore désignés) : 291 du clergé (dont 208 simples curés), 270 de la noblesse et 578 du tiers état. L'historien Jean-Christian Petitfils note que les « élus des deux premiers ordres eurent droit à l'ouverture des deux battants de la porte, tandis que ceux du tiers durent se contenter d'un seul ! »
Le , soit la veille de l'ouverture des états généraux, une messe solennelle est célébrée en l'église Saint-Louis en présence de la famille royale (sauf le dauphin, trop malade pour quitter sa chambre). L'homélie du célébrant, l'évêque de Nancy Monseigneur de La Fare (par ailleurs député du clergé), dure plus d'une heure. Le prélat commence par une maladresse en prononçant ces mots : « Sire, recevez les hommages du clergé, les respects de la noblesse et les très humbles supplications du tiers état ». Puis il se tourne vers Marie-Antoinette et stigmatise ceux qui dilapident les deniers de l'État ; s'adressant ensuite à nouveau au roi, il déclare : « Sire, le peuple a donné des preuves non équivoques de sa patience. C'est un peuple martyr à qui la vie semble n'avoir été laissée que pour le faire souffrir plus longtemps ». De retour au château, la reine s'effondre et le roi s'indigne. Le lendemain, , s'ouvriront les états généraux et, par là même, la Révolution française.
Ouverture des États généraux à Versailles, 5 mai 1789, Auguste Couder, 1839, Musée de l'Histoire de France (Versailles).
Les états généraux s'ouvrent le vers 13 heures par une séance solennelle d'ouverture dans la salle des Menus-Plaisirs à Versailles. L'événement se passe dans des conditions difficiles pour le roi, car depuis plus d'un an, le petit dauphin Louis Joseph Xavier François est malade, ce qui ne favorise pas le contact entre le roi et le tiers-état. Le dauphin mourra le , ce qui affectera profondément la famille royale.
Lors de la séance, le roi trône au fond de la salle ; à sa gauche siègent les membres de la noblesse, à sa droite ceux du clergé et, en face, sont assis ceux du tiers-état. Louis XVI a revêtu pour l'occasion le manteau fleurdelysé de l'Ordre du Saint-Esprit et un chapeau à plumes où luit notamment le Régent.
La cérémonie débute par un bref discours du roi dans lequel il déclare notamment : « Messieurs, le jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la Nation à laquelle je me fais gloire de commander ». Il expose ensuite brièvement le cap de redressement des finances mais prévient toute tentative de réforme : « Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et éclairés ».
Sous un tonnerre d'applaudissements, le roi laisse la parole au Garde des Sceaux Barentin. Ce dernier fait l'éloge du souverain, rappelant que les Français ont grâce à lui une presse libre, qu'ils ont fait leur l'idée d'égalité, et qu'ils sont prêts à fraterniser ; mais dans sa déclaration ne sont traités ni le mode de votation des trois ordres, ni l'état des finances du royaume.
Puis vient le tour de Necker. Durant un discours de plus de 3 heures (prononcé par un assistant au bout de quelques minutes), il se perd dans de vaines flatteries et rappelle l'existence du déficit de 56 millions de livres. Ne présentant aucun plan d'ensemble et n'annonçant rien de nouveau, il déçoit son auditoire. Il affirme enfin sa position concernant le mode de votation, en se prononçant en faveur du vote par ordre.
Le roi lève enfin la séance. Pour beaucoup de députés, cette journée fut ennuyeuse et décevante.
Le , les députés du tiers état se réunissent dans la grande salle et prennent, comme en Angleterre, le nom de communes. Ils proposent au clergé et à la noblesse, qui dans l'immédiat votent séparément, de procéder ensemble à la vérification des pouvoirs des députés, mais ils se heurtent à un refus des deux ordres.
Le , les députés de la noblesse décident, par 141 voix contre 47, de se constituer en chambre séparée et de vérifier de cette manière les pouvoirs de ses membres. La décision est plus nuancée chez le clergé où, à un écart de quelques voix, il est également décidé de siéger séparément (133 pour et 114 contre). Des conciliateurs sont désignés pour atténuer les divergences mais ils avouent leur échec le .
Le , Louis XVI demande en personne que les efforts de conciliation se poursuivent. Il ne dialogue pas cependant directement avec les membres du tiers, puisque Barentin joue le rôle d'intermédiaire.
Le , le dauphin Louis-Joseph de France, meurt à l'âge de 7 ans. Le couple royal est très affecté par la disparition du prétendant au trône, mais cet événement survient dans l'indifférence générale. Son petit frère Louis de France, futur Louis XVII, porte désormais à 4 ans le titre de dauphin.
Le , les députés du Tiers prennent acte du refus de la noblesse de se joindre à eux. Forts de l'appui de plus en plus présent du clergé (plusieurs membres les rejoignent quotidiennement), et estimant représenter « les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation », ils décident par l'intermédiaire du représentant qu'ils ont élu, le mathématicien et astronome Jean Sylvain Bailly, de s'autoproclamer assemblée nationale et de déclarer purement et simplement illégale la création de tout nouvel impôt sans leur accord. La constitution de cette assemblée, proposée par Sieyès, est votée par 491 voix contre 89.
Le , le clergé décide de se joindre au tiers état. Le même jour, le roi s'entretient avec Necker et Barentin. Necker propose un plan de réformes proche des revendications du Tiers : vote par tête et égalité de tous devant l'impôt notamment. Barentin, quant à lui, demande au roi de ne pas céder face aux revendications et lui déclare : « Ne pas sévir, c'est dégrader la dignité du trône ». Le roi ne décide rien pour le moment et propose la tenue d'une « séance royale » le où il exprimera ses volontés.
Les députés du Tiers demandent qu'on les laisse entrer dans l'hôtel des Menus Plaisirs, Lucien-Étienne Mélingue.
Le , les députés du Tiers découvrent que la salle des Menus-Plaisirs est close et barrée par des gardes-françaises. Officiellement, on y prépare l'assemblée du ; en réalité, Louis XVI a décidé de fermer la salle puisque, non seulement écrasé par le deuil de la mort du dauphin mais surtout influencé par la reine, Barentin et d'autres ministres, il se sent trahi par un tiers état qui lui échappe et ne souhaite pas de réunion jusqu'à l'assemblée du 23.
Les députés du Tiers décident alors, sur proposition du célèbre docteur Guillotin, de trouver une autre salle pour se réunir. C'est alors qu'ils entrent dans la salle du Jeu de paume, située à deux pas. C'est dans cette salle que l'assemblée, à l'initiative de Jean-Joseph Mounier, se déclare « appelée à fixer la constitution du royaume » puis, à l'unanimité sauf une voix, elle prête le serment de ne « jamais se séparer » tant qu'une nouvelle constitution ne sera pas donnée au royaume de France. Elle déclare enfin que « partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale ! »
Le , Louis tient un conseil d'État à l'issue duquel le plan proposé par Necker le est repoussé, malgré le soutien des ministres Montmorin, Saint-Priest et La Luzerne.
Le Serment du Jeu de Paume, 20 juin 1789, Louis-Charles-Auguste Couder (1790–1873), 1848, Musée de l'Histoire de France (Versailles).
La séance royale décidée par le roi s'ouvre dans la grande salle de l'hôtel des Menus-Plaisirs, en l'absence de Jacques Necker mais en présence d'une troupe largement déployée pour l'occasion. Louis XVI y prononce un bref discours dans lequel il fait part de ses décisions. Constatant le manque de résultats des états généraux, il rappelle les députés à l'ordre : « Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser vos funestes divisions ». Il déclare être favorable à l'égalité devant l'impôt, à la liberté individuelle, à la liberté de la presse, à la disparition du servage, et à la suppression des lettres de cachet qu'il décidera le ; en revanche, il déclare nulle la proclamation de l'assemblée nationale du et maintient sa volonté de faire voter les trois ordres séparément. Il rappelle enfin qu'il incarne la seule autorité légitime du royaume : « Si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul je ferais le bien de mes peuples, seul me considérerais comme leur véritable représentant ». La séance est levée et les députés sont priés de sortir.
Les députés de la noblesse et la majorité de ceux du clergé quittent alors la salle ; les députés du Tiers sont, quant à eux, tendus et intrigués par la présence massive des troupes. Au bout de plusieurs minutes de flottement, le député d'Aix Mirabeau intervient et s'adresse à la salle : « Messieurs, j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présents du despotisme n'étaient toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature ? L'appareil des armes, la violation du temple national pour vous commander d'être heureux ! […] Catilina est-il à nos portes ! » Face au tumulte provoqué par cette harangue, le grand maître des cérémonies Henri-Évrard de Dreux-Brézé s'adresse alors à Bailly, doyen de l'Assemblée et du Tiers, pour lui rappeler l'ordre du roi. Le député rétorque : « La Nation assemblée ne peut recevoir d'ordre ». C'est alors que Mirabeau s'interpose et, selon la légende, lui répond cette célèbre phrase : « Allez dire à ceux qui vous ont envoyé que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes ». Informé de l'incident, Louis XVI aurait alors lâché : « Ils veulent rester, eh bien, foutre, qu'ils restent ! » Une révolution bourgeoise et pacifique vient ainsi de s'accomplir et il faut désormais au roi opter entre l'acceptation de la monarchie constitutionnelle ou l'épreuve de force. Il semble s'orienter vers la première solution tandis que son entourage se montre plus intransigeant, notamment son frère le comte d'Artois qui accuse Necker, ce banquier libéral, de trahison et d'attentisme.
Mirabeau répondant à Dreux-Brézé, burin gravé en 1889 par Alphonse Lamotte d'après le haut-relief de Jules Dalou (Salon de 1883).
Le surlendemain , la majorité des députés du clergé et 47 députés de la noblesse (dont le duc d'Orléans, cousin du roi) se joignent au Tiers état. Louis XVI cherche à donner le change et, le , ordonne « à son fidèle clergé et à sa fidèle noblesse » de se joindre au Tiers ; paradoxalement, il fait déployer autour de Versailles et de Paris trois régiments d'infanterie, officiellement pour protéger la tenue des états généraux, mais en réalité pour pouvoir disperser les députés par la force si cela s'avère nécessaire . Seulement, plusieurs compagnies refusent de se soumettre aux ordres et certains soldats jettent leurs armes avant de venir dans les jardins du Palais-Royal se faire applaudir par la foule. Les « patriotes » parisiens suivent de près les mouvements de l'armée et, lorsqu'une quinzaine de grenadiers insoumis sont enfermés dans la prison abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, 300 personnes viennent les libérer : « Les hussards et les dragons envoyés pour rétablir l'ordre crient "Vive la Nation !" et refusent de charger la foule ».
Louis XVI mobilise alors autour de Paris 10 nouveaux régiments. Le , Mirabeau demande au roi d'éloigner les troupes étrangères (suisses et allemands), ce à quoi le souverain rétorque que son seul but est de protéger les élus ; pour ce faire, il propose même de transférer le siège de l'assemblée nationale à Noyon ou Soissons.
L'Assemblée nationale proclamée le prend le nom de Constituante le . Pendant ce temps, le roi renvoie Necker (dont il a peu apprécié l'absence lors de la séance royale du ) pour le remplacer par le baron de Breteuil, monarchiste convaincu. Il appelle le maréchal de Broglie au poste de Maréchal général des camps et armées du roi, réinstauré pour faire face aux événements.
L'annonce du renvoi de Necker et de la nomination de Breteuil et de Broglie mettent Paris en effervescence. À partir de ce moment, les manifestations se multiplient à Paris ; une d'entre elles est réprimée aux Tuileries, faisant un mort côté manifestants.
Le , les 407 grands électeurs de Paris (qui avaient élu leurs députés pour les états généraux) se réunissent à l'Hôtel de ville de Paris pour se constituer « comité permanent ». Ils fondent une milice de 48 000 hommes encadrée par des gardes-françaises et adoptent comme signe de reconnaissance la cocarde bicolore rouge et bleu, aux couleurs de la ville de Paris (le blanc, symbole de la nation, est inséré dans la cocarde tricolore née dans la nuit du 13 au ).
Le matin du 13, Louis XVI écrit à son frère cadet, le Comte d’Artois : « Résister en ce moment, ce serait s’exposer à perdre la monarchie ; c’est nous perdre tous. […] Je crois plus prudent de temporiser, de céder à l’orage, et de tout attendre du temps, du réveil des gens de bien, et de l’amour des Français pour leur roi ».
Il ne reste plus aux manifestants qu'à trouver des armes. Le , une foule estimée à 40 000-50 000 personnes se présente devant l'Hôtel des Invalides. Les officiers réunis sous les ordres de Besenval sur le Champ-de-Mars refusent à l'unanimité de charger contre les manifestants. C'est ainsi que ces derniers s'emparent librement à l'intérieur des Invalides d'environ 40 000 fusils Charleville, un mortier et une demi-douzaine de canons. Il ne manque plus que de la poudre et des balles, et l'idée se répand que la forteresse de la Bastille en regorge.
Vers 10h30, une délégation des électeurs de Paris se rend auprès du gouverneur de la prison Bernard-René Jordan de Launay pour négocier la remise des armes demandées. Après deux refus, Launay fait sauter 250 barils de poudre ; l'explosion est considérée à tort comme une charge contre les assaillants. Soudain, un ancien sergent des gardes suisses entouré de 61 gardes-françaises arrive des Invalides avec les canons volés et les place en position d'attaque contre la Bastille. La forteresse capitule, la foule s'y engouffre en libérant les 7 prisonniers enfermés et s'empare des munitions. La garnison de la Bastille, après avoir massacré une centaine d'émeutiers, est conduite à l'Hôtel de ville tandis que la tête de Launay, décapité sur le trajet, est exposée sur une pique. Ignorant tout des événements, Louis XVI ordonne trop tard que les troupes stationnées autour de Paris évacuent la capitale.
Le lendemain , le roi apprend à son réveil du grand-maître de la garde-robe François XII de La Rochefoucauld les événements de la veille. Selon la légende, le roi lui demande : « C'est une révolte ? » Et le duc de La Rochefoucauld de répondre : « Non, Sire, c'est une révolution ».
À partir de ce jour, la Révolution est irréversiblement enclenchée. Louis XVI, qui ne peut choisir qu'entre la guerre civile et la résignation, consent à capituler devant les événements.
Toujours le , le roi se rend à l'Assemblée pour confirmer aux députés qu'il a ordonné aux troupes de se retirer des alentours de Paris. Sous les applaudissements des députés, il conclut sa venue en disant : « Je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient point en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu ? Eh bien, c'est moi qui ne suis qu'un avec la Nation qui me fie à vous : aidez-moi en cette circonstance à assurer le salut de l'État ; je l'attends de l'Assemblée nationale ». En s'adressant directement à l'Assemblée nationale, Louis XVI vient de reconnaître officiellement son existence et sa légitimité. Aussitôt, une importante délégation conduite par Bailly se rend à l'Hôtel de ville de Paris pour annoncer au peuple les dispositions du roi et ramener le calme dans la capitale. Dans une ambiance festive et dansante, Bailly est nommé maire de Paris et La Fayette est élu par l'Assemblée commandant de la Garde nationale.
Le , le roi tient un conseil en présence de la reine et de ses deux frères. Le comte d'Artois et Marie-Antoinette demandent au roi de transférer la cour à Metz pour plus de sécurité mais le souverain, soutenu par le comte de Provence, la maintient à Versailles. Il regrette plus tard de ne pas s'être éloigné de l'épicentre de la Révolution. Il annonce en outre dans ce conseil qu'il va rappeler Necker et donne l'ordre à Artois (dont il reproche la philosophie répressive) de quitter le royaume, faisant du futur Charles X l'un des tout premiers émigrés de la Révolution.
Necker revient donc au gouvernement avec le titre de contrôleur général des finances. Sont également rappelés Montmorin aux Affaires étrangères, Saint-Priest à la Maison du Roi et La Luzerne à la Marine. Necker ne tardera pas à comprendre que le pouvoir réside désormais à l'Assemblée nationale.
Le , Louis XVI prend la route de Paris pour aller à la rencontre de son peuple. Accompagné d'une centaine de députés, il a choisi de se rendre à l'Hôtel de ville, devenu le centre symbolique de la contestation populaire. Il est reçu par le nouveau maire, Bailly, qui s’adresse à lui en ces termes : « J’apporte à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville de Paris : ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV, il avait reconquis son peuple, ici le peuple a reconquis son roi ». Sous les cris de « Vive la Nation ! », il se fait apposer sur son chapeau la cocarde tricolore. Il pénètre ensuite dans l'édifice en passant sous la voûte formée par les épées des gardes nationaux. C'est alors que le président du collège électoral, Moreau de Saint-Méry, le complimente : « Le trône des rois n'est jamais plus solide que lorsqu'il a pour base l'amour et la fidélité des peuples ». Le roi improvise alors un petit discours au cours duquel il déclare approuver les nominations de Bailly et La Fayette ; se montrant alors à la foule qui l'acclame en contrebas, il lance à Saint-Méry : « Mon peuple peut toujours compter sur mon amour ». Enfin, à la demande de l'avocat Louis Éthis de Corny, on vote l'érection d'un monument à Louis XVI à l'emplacement même de la Bastille.
Comme le note l'historien Bernard Vincent en commentant cette réception à l'Hôtel de ville : « Avec la prise de la Bastille, le pouvoir suprême venait bel et bien de changer de camp ».
L'Assemblée nationale régnant désormais sur le pays, les intendants du roi quittent leur poste dans les provinces. Une grande peur gagne alors la paysannerie française : on craint en effet que les seigneurs, pour se venger des événements survenus à Paris, ne mandatent des « brigands » contre le peuple des campagnes.
Ajoutée à la faim et à la crainte des accapareurs de blé, la grande peur incite les paysans à créer des milices un peu partout en France. À défaut de tuer les brigands imaginaires, les membres de la milice incendient les châteaux et massacrent des comtes notamment. L'Assemblée, hésitante face à ces exactions, décide de calmer le jeu. Néanmoins, la peur gagne la ville de Paris où, le , le conseiller d'État Joseph François Foullon et son gendre Berthier de Sauvigny sont massacrés sur la Place de Grève.
Pour mettre fin à l'instabilité régnant dans les campagnes, les ducs de Noailles et d'Aiguillon lancent à l'Assemblée constituante l'idée de faire table rase de tous les privilèges seigneuriaux hérités de l'époque médiévale. C'est ainsi qu'au cours de la séance nocturne du sont supprimés les droits féodaux, la dîme, les corvées, la mainmorte et le droit de garenne notamment. L'assemblée affirme l'égalité devant l'impôt et l'emploi, abolit la vénalité des charges et tous les avantages ecclésiastiques, nobiliaires et bourgeois.
Bien que Louis XVI affirme dans un courrier du lendemain à Monseigneur du Lau, archevêque d'Arles, qu'il ne donnera jamais sa sanction (comprendre son accord) à des décrets qui « dépouilleraient » le clergé et la noblesse, l'Assemblée continue de légiférer dans ce sens jusqu'au . Les décrets d'application seront pris les et .
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août 1789)
Le rapport rendu le par Jean-Joseph Mounier présentait un ordre de travail pour la rédaction d'une Constitution débutant par une déclaration des droits. Cette déclaration devait servir, en tant que préambule, à proposer à l'univers un texte « pour tous les hommes, pour tous les temps, pour tous les pays » et codifier l'essentiel de l'esprit des Lumières et du Droit naturel. L'idée était également d'opposer à l'autorité royale l'autorité de l'individu, de la loi et de la Nation.
Le , l'Assemblée entame la discussion finale du texte, déposé par La Fayette et inspiré de la Déclaration d'indépendance des États-Unis. L'adoption du texte s'opère article par article, pour finir le , date à laquelle les députés commencent à examiner le texte de la Constitution elle-même.
La Déclaration fixe à la fois les prérogatives du citoyen et celles de la Nation : le citoyen par l'égalité devant la loi, le respect de la propriété, la liberté d'expression notamment, et la Nation par la souveraineté et la séparation des pouvoirs entre autres. Le texte est adopté « en présence et sous les auspices de l'Être suprême, un dieu abstrait et philosophique.
Les débats, houleux, surviennent au milieu de 3 catégories de députés qui commencent à se démarquer les uns des autres : la droite (aristocrates), les partisans du statu quo comme d'Eprémesnil ou l'abbé Maury ; le centre (Monarchiens) conduits notamment par Mounier et favorables à une alliance entre les roi et le tiers-état ; et enfin la gauche (patriotes), elle-même composée d'une branche modérée favorable à un veto minimal du roi (Barnave, La Fayette, Sieyès) et d'une branche extrême comptant encore peu de députés (Robespierre et Pétion notamment).
À la suite de l'adoption du texte final de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le , l'Assemblée se penche à la question du droit de veto du roi. Après quelques jours de débats, lesquels se sont déroulés en l'absence du principal intéressé, les députés votent le , à une très large majorité (673 voix contre 325), le droit de veto suspensif proposé par les patriotes. Concrètement, le roi perd l'initiative des lois, et ne conserve que le droit de promulgation et le droit de remontrance. Louis XVI accepte cette idée par esprit de conciliation, grâce à Necker qui, ayant négocié cette option avec les patriotes, a su convaincre le roi d'accepter le droit de veto ainsi voté.
Néanmoins, les députés ne concèdent au roi le droit de veto que si ce dernier avalise les décrets de la nuit du . Dans une lettre du , Louis XVI écrit aux députés qu'il agrée l'esprit général de la loi mais qu'en revanche des points importants n'ont pas été étudiés, notamment l'avenir du traité de Westphalie consacrant les droits féodaux des princes germaniques ayant des terres en Alsace. Pour toute réponse, l'assemblée somme le roi de promulguer les arrêtés des 4 et . Outragé, Louis XVI concède cependant le qu'il accepte l'« esprit général » de ces textes et qu'il les publierait. Satisfaits, les députés octroient le (par 728 voix contre 223) le droit de veto suspensif pour une durée de six ans. Dans la foulée, ils votent l'article de la future constitution selon lequel « le gouvernement est monarchique, le pouvoir exécutif est délégué au roi pour être exercé sous son autorité par les ministres ».
Malgré son retour au gouvernement, Necker ne parvient pas à redresser les finances du royaume. Il recourt donc au traditionnel remède à l'emprunt : deux emprunts sont lancés en , mais les résultats sont médiocres. Necker se rend donc en dernier recours à l'Assemblée pour lui proposer une contribution extraordinaire qui pèserait sur l'ensemble des citoyens, et qui équivaudrait au quart des revenus de chacun ; d'abord réticente à voter cet impôt lourd, ladite assemblée l'adopte à l'unanimité, convaincue par les mots que lui a lancés Mirabeau : « Votez donc ce subside extraordinaire […] la hideuse banqueroute est là : elle menace de consumer, vous, vos propriétés, votre honneur […] et vous délibérez ! » La levée de cette contribution ne résout cependant pas les difficultés économiques du pays, le pain devenant de plus en plus rare et le chômage de plus en plus fort (une des conséquences de l'émigration des aristocrates, parmi lesquels beaucoup d'employeurs).
L'opinion publique s'émeut de cette impasse et, sensible aux poussées contre-révolutionnaires de la cour et du roi (que l'on surnomme désormais Monsieur Veto), se méfie de plus en plus du souverain et de son entourage. Par exemple, dans la chanson La Carmagnole, composée probablement lors de la journée du 10 août 1792 .
« Monsieur Véto avait promis
D’être fidèle à sa patrie ;
Mais il y a manqué.Ne faisons plus quartier. »
Cette méfiance se change bientôt en révolte quand le peuple apprend qu'au cours d'un dîner donné le 1er octobre à Versailles en l'honneur du régiment de Flandre (venu prêter main-forte à la défense de la cour), certains officiers n'ont pas manqué de fouler aux pieds la cocarde tricolore et de crier « À bas l'Assemblée ! », le tout en présence de Louis XVI et de la reine.
Les Parisiens apprennent la nouvelle, relayée et amplifiée par les journaux ; Marat et Desmoulins en appellent aux armes contre cette « orgie contre-révolutionnaire ». Selon les registres officiels, ne sont entrés dans la capitale depuis 10 jours que « 53 sacs de farine et 500 setiers de blé » ; face à cette pénurie, le bruit court que du blé est abondamment conservé à Versailles et en outre que le roi envisage de transporter la cour à Metz. Les Parisiens veulent donc ramener le blé et retenir le roi, quitte à le ramener dans la capitale.
Le , une foule de femmes envahit l'Hôtel de ville de Paris pour faire part de ses doléances et informer qu'elle va marcher sur Versailles pour en parler à l'Assemblée et au roi lui-même. Conduites par l'huissier Stanislas-Marie Maillard, environ 6 000 à 7 000 femmes, ajoutées à quelques agitateurs déguisés, se rendent à pied à Versailles, « armées de fusils, de piques, de crocs de fer, de couteaux emmanchés sur des bâtons, précédées de sept ou huit tambours, de trois canons et d'un train de baril de poudre et de boulets, saisis au Châtelet ».
Apprenant la nouvelle, le roi rentre précipitamment de la chasse et la reine se réfugie dans la grotte du Petit Trianon. Vers 16 heures, le cortège des femmes arrive devant l'Assemblée ; une délégation d'une vingtaine d'entre elles est reçue dans la salle des Menus-Plaisirs, qui exige que le roi promulgue les décrets des 4 et et signe la Déclaration des droits de l'homme. Une horde de citoyennes survient alors dans la salle, criant : « À bas la calotte ! À mort l'Autrichienne ! Les gardes du roi à la lanterne ! »
Louis XVI accepte de recevoir cinq des femmes du cortège, accompagnées du nouveau président de l'Assemblée, Jean-Joseph Mounier. Le roi leur promet du pain, embrasse l'une de ces femmes (Louison Chabry, âgée de 17 ans), laquelle s'évanouit sous le coup de l'émotion. Les femmes ressortent en criant « Vive le roi ! » mais la foule hurle à la trahison et menace de les pendre. Elles promettent alors de retourner voir le roi pour obtenir davantage. Louis XVI donne alors à Jérôme Champion de Cicé, Garde des Sceaux l'ordre écrit de faire venir du blé de Senlis et de Lagny ; il promet également à Mounier qu'il promulguera le soir même les décrets des 4 et , et qu'il signera également la Déclaration. Se montrant enfin au balcon aux côtés de Louison Chabry, il émeut la foule qui l'acclame alors.
Vers minuit, La Fayette arrive au château en tête de la Garde nationale et de quelque 15 000 hommes ; il promet au roi d'assurer la défense extérieure du château et lui assure : « Si mon sang doit couler, que ce soit pour le service de mon roi ». Le lendemain matin, après une nuit passée à camper sur la place d'armes, la foule assiste en son sein à une bagarre opposant des manifestants à plusieurs gardes du corps ; des émeutiers entraînent alors la foule à pénétrer dans le château par la porte de la chapelle, restée étrangement ouverte. S'ensuit alors un véritable carnage où plusieurs gardes sont massacrés et décapités, leur sang badigeonnant le corps des meurtriers. Ces derniers cherchent les appartements de la reine, s'écriant : « Nous voulons couper sa tête, fricasser son cœur et ses foies, et cela ne finira pas là ! » Empruntant des couloirs secrets, le roi et sa famille parviennent à se retrouver ensemble sous les cris de « Le roi à Paris ! » et « À mort l'Autrichienne ! » venant du dehors. La reine lance alors à son mari : « Vous n'avez pas su vous décider à partir quand c'était encore possible ; à présent nous sommes prisonniers ». Louis XVI se concerte alors avec La Fayette ; ce dernier ouvre la fenêtre donnant au dehors et se montre à la foule qui lui crie « Le roi au balcon ! ». Le souverain se montre alors à la foule sans dire un mot tandis que celle-ci l'acclame et lui demande de revenir à Paris. Des voix réclamant la reine, La Fayette dit à celle-ci de venir également à la fenêtre : « Madame, cette démarche est absolument nécessaire pour calmer la multitude ». La reine s'exécute, modérément acclamée par la foule ; La Fayette lui baise la main. Le roi la rejoint alors en compagnie de ses deux enfants et déclare à la foule : « Mes amis, j'irai à Paris avec ma femme et mes enfants. C'est à l'amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j'ai de plus précieux ».
Après 7 heures de route, le cortège arrive à Paris, encadré par la Garde nationale et les têtes fraîchement coupées de la matinée. Des chariots de blé accompagnent également la famille royale, si bien que la foule déclare qu'elle ramène dans la capitale « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Après un détour protocolaire à l'Hôtel de ville, le cortège parvient au Palais des Tuileries, où la famille royale élit malgré elle son dernier domicile ; un mois plus tard, l'Assemblée siège à la Salle du Manège, non loin de là. Le , les députés Fréteau et Mirabeau proposent d'instaurer le titre de roi des Français à la place de celui de roi de France. L'Assemblée adopte cette nouvelle titulature le , et décide le que le souverain ne sera pas titré « roi des Navarrais » ni « des Corses ». L'Assemblée officialisera ces décisions par un décret du . Louis XVI commence à utiliser la nouvelle titulature (orthographiée « roi des François ») dans ses lettres patentes à partir du . Le , l'Assemblée décrète que son président devra demander au roi que le sceau de l'État porte la nouvelle titulature. Le nouveau sceau est utilisé dès le , avec la formulation « Louis XVI par la grâce de Dieu et par la loy constitutionnelle de l'État roy des François ». Et l'Assemblée décide par décret du , que le titre de roi des Français sera désormais gravé sur les monnaies du royaume (où figurait toujours celui de roi de France et de Navarre : Franciæ et Navarræ rex). Le titre est ensuite maintenu dans la constitution de 1791.
« Décret de l'Assemblée national [sic] qui supprime les ordres religieux et religieuses. Le mardi 16 février 1790. » Caricature anonyme de 1790. « Que ce jour est heureux, mes sœurs. Oui, les doux noms de mère et d'épouse est bien préférable à celui de nonne, il vous rend tous les droits de la nature ainsi qu'à nous. »
Dès les premiers mois qui vont suivre le début de la Révolution, l'Église et le clergé vont être la cible de la politique nouvellement menée ; comme l'affirme l'historien Bernard Vincent, « c'est cet aspect de la Révolution, cet acharnement contre l'Église, que Louis XVI, non seulement homme de foi mais profondément convaincu d'être dans sa fonction un émissaire du Tout-Puissant, aura le plus de mal à admettre. Il ne l'admettra d'ailleurs jamais, malgré les concessions publiques que jour après jour sa situation lui impose de faire ».
L'un des premiers actes de cette volonté de déchristianiser les institutions s'opère par le décret du par lequel l'Assemblée, à l'initiative de Talleyrand, décide à 568 voix contre 346 que les biens du clergé serviront à combler le déficit national.
Le , l'Assemblée met en circulation 400 millions d'assignats, sortes de bons du Trésor, destinés à éponger les dettes de l'État. La valeur de ces assignats était à terme garantie par la vente des biens du clergé ; néanmoins, l'émission excessive de ces bons aura pour conséquence une forte dépréciation, allant jusqu'à 97 % de leur valeur.
Le , l'Assemblée vote l'interdiction des vœux religieux et la suppression des ordres religieux réguliers, hors institutions scolaires, hospitalières et caritatives. Les ordres tels que les Bénédictins, les Jésuites et les Carmélites sont déclarés illégaux. Dans plusieurs villes, de violents heurts opposent les catholiques royalistes aux révolutionnaires protestants, tels à Nîmes où, le , les affrontements font 400 morts.
La Constitution civile du clergé est votée le , remplissant d'effroi Louis XVI en personne. Désormais, les diocèses seront alignés sur les départements récemment créés : il y aura donc 83 évêques pour 83 diocèses (pour 83 départements), et en outre 10 « évêques métropolitains » à la place des 18 archevêques existants. Mais la réforme, décidée sans concertation ni avec le clergé ni avec Rome, prévoit également que les curés et les évêques seront désormais élus par les citoyens, même non catholiques. N'ayant plus de revenu à la suite de la vente des biens du clergé, les prêtres seront donc des fonctionnaires publics rémunérés par l'État mais devront, en contrepartie, prêter serment de fidélité « à la Nation, à la loi et au roi » (article 21). La constitution coupe les membres du clergé en deux camps : les prêtres jureurs (légèrement majoritaires), fidèles à la constitution et au serment de fidélité, et les prêtres réfractaires, refusant de s'y soumettre. La constitution civile du clergé et la Déclaration des droits de l'Homme seront condamnées par le pape Pie VI dans le bref apostolique Quod aliquantum, ramenant au sein de l'Église quelques prêtres jureurs. L'Assemblée se vengera par le biais du décret du rattachant au Royaume l'État pontifical d'Avignon et le Comtat Venaissin.
Le , Louis XVI se résigne à entériner la constitution civile du clergé dans son intégralité. Comme il l'avait indiqué à son cousin Charles IV d'Espagne dans une missive envoyée le , il signe à contrecœur ces « actes contraires à l'autorité royale » qui lui ont été « arrachés par la force ».
Fête de la Fédération (14 juillet 1790)
Deux jours après le vote de la constitution civile du clergé, et pour fêter le 1er anniversaire de la Prise de la Bastille, le Champ-de-Mars est le théâtre d'une cérémonie de grande ampleur : la Fête de la Fédération.
Orchestrée par La Fayette au nom des fédérations (les associations de gardes nationaux de Paris et de province), la Fête de la Fédération rassemble environ 400 000 personnes, en ce compris les députés, le duc d'Orléans venu de Londres, les membres du gouvernement donc Necker, et la famille royale. Une messe est présidée par Talleyrand, entouré de 300 prêtres en étole tricolore.
Louis XVI prête solennellement serment en ces termes : « Moi, roi des Français, je jure à la Nation d'employer le pouvoir qui m'est délégué […] à maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois ». La reine présente son fils à la foule sous les acclamations.
Le roi est acclamé tout au long de cette journée et les Parisiens viennent dans la soirée crier sous ses fenêtres : « Régnez, Sire, régnez ! » Barnave reconnaît : « Si Louis XVI avait su profiter de la Fédération, nous étions perdus ». Mais le roi ne profite pas de la situation : pour certains historiens, le roi veut éviter une guerre civile ; l'autre explication vient du fait que le roi a peut-être déjà entrepris de quitter le pays.
La fête de la Fédération, tableau de Charles Thévenin, musée Carnavalet
8 heures du soir, le convoi s'arrête devant le relais de Sainte-Menehould puis reprend sa route. La population s'interroge sur la mystérieuse voiture, et très vite s'ébruite la rumeur selon laquelle les fugitifs ne sont autres que le roi et sa famille. Le maître de poste, Jean-Baptiste Drouet, est convoqué à l'Hôtel de ville : face à un assignat à l'effigie du roi qu'on lui tend, il reconnaît le souverain comme étant l'un des passagers du convoi. Il se lance alors à la poursuite de la berline avec le dragon Guillaume en direction de Varennes-en-Argonne, vers laquelle se dirigeait la voiture. Prenant des raccourcis, ils arrivent avant le convoi et parviennent à prévenir les autorités quelques minutes seulement avant l'arrivée du roi. La famille royale arrive vers 10 heures et se heurte à un barrage. Le procureur-syndic Jean-Baptiste Sauce contrôle les passeports, qui semblent en règle. Il s'apprête à laisser repartir les voyageurs quand le juge Jacques Destez, qui avait vécu à Versailles, reconnaît formellement le roi. Louis XVI avoue alors sa véritable identité ; il ne parvient pas à convaincre la population qu'il envisageait de regagner Montmédy afin d'y installer sa famille, d'autant plus que le maître de poste de Châlons arrive à ce moment précis, porteur d'un décret de l'Assemblée enjoignant d'arrêter les fuyards. Choiseul, qui a réussi à rejoindre le roi, propose à ce dernier de faire dégager la ville par la force, ce à quoi le roi lui répond d'attendre l'arrivée du général Bouillé ; mais celui-ci ne vient pas et ses hussards pactisent avec la population. Le roi confie alors à la reine : « Il n'y a plus de roi en France ».
Informée le au soir des événements qui se sont déroulés à Varennes, l'Assemblée envoie trois émissaires à la rencontre de la famille royale : Barnave, Pétion et La Tour-Maubourg. La jonction s'opère le au soir à Boursault. Le cortège passe la soirée à Meaux et reprend le lendemain la route de Paris, où l'Assemblée a déjà décrété la suspension du roi. Une foule immense s'est massée le long des boulevards pour voir passer la voiture de la famille royale ; les autorités ont placardé des affiches sur lesquelles il est écrit : « Quiconque applaudira le roi sera bastonné, quiconque l'insultera sera pendu ». Durant le trajet, le roi conserve un calme exemplaire comme le note Pétion : « Il semblait que le roi revenait d'une partie de chasse [...] il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que si rien n'était arrivé [...] j'étais confondu de ce que je voyais ». Quant à Marie-Antoinette, elle constatera en se regardant dans un miroir que ses cheveux avaient blanchi.
L'Assemblée décide d'entendre le couple royal sur l'affaire de Varennes. Louis XVI fait seulement savoir qu'il n'avait pas eu l'intention de quitter le territoire national : « Si j'avais eu l'intention de sortir du royaume, je n'aurai pas publié mon mémoire le jour même de mon départ, mais j'aurais attendu d'être en dehors des frontières ». Le , on lui apprend qu'il est innocenté et qu'il serait rétabli dans ses fonctions dès qu'il aura approuvé la nouvelle constitution.
Pour l'historien Mona Ozouf, la fuite manquée du roi a brisé le lien de l'indivisibilité du roi et de la France, car, explique-t-elle, elle « présente aux yeux de tous la séparation du roi et de la nation : le premier, tel un vulgaire émigré, a couru clandestinement à la frontière ; la seconde rejette désormais comme dérisoire son identification au corps du roi, qu'aucune restauration ne parviendra plus à faire revivre ; par où, bien avant la mise à mort du roi, elle accomplit la mort de la royauté ».
L'idée républicaine, déjà en chemin, va s'accélérer subitement à l'occasion de la fuite manquée du roi. Le , une pétition réclamant l'instauration d'une République réunit 30 000 signatures à Paris. Le , les Jacobins de Montpellier réclament à leur tour la création d'une République. Thomas Paine fonde à la fin juin le club de la Société républicaine, aux idées plus avancées que celui des Jacobins, au sein duquel il élabore un manifeste républicain, où il appelle les Français à en finir avec la monarchie : « La nation ne peut jamais rendre sa confiance à un homme qui, infidèle à ses fonctions, parjure à ses serments, ourdit une fuite clandestine, obtient frauduleusement un passeport, cache un roi de France sous le déguisement d'un domestique, dirige sa course vers une frontière plus que suspecte, couverte de transfuges, et médite évidemment de ne rentrer dans nos états qu'avec une force capable nous dicter sa loi ». Cet appel est placardé sur les murs de la capitale puis, le , sur le portail de l'Assemblée nationale ; cette initiative ne manque pas de choquer un certain nombre de députés, lesquels se désolidarisent de ce mouvement : Pierre-Victor Malouet parle de « violent outrage » à la Constitution et à l'ordre public, Louis-Simon Martineau demande l'arrestation des auteurs de l'affiche et Robespierre, enfin, s'écrie : « On m'a accusé au sein de l'Assemblée d'être républicain. On m'a fait trop d'honneur, je ne le suis pas ! »
Le , le Club des Jacobins se déchire sur la question de la république ; l'aile majoritaire hostile à un changement de régime se rassemble autour de La Fayette et crée le Club des Feuillants. Le , le Club des Cordeliers (dirigé par Danton, Marat et Desmoulins notamment) lance une pétition en faveur de la république. Le texte et les 6 000 signatures sont déposées sur l'autel de la Patrie érigé au Champ-de-Mars pour la 2e Fête de la Fédération du précédent. L'Assemblée ordonne la dispersion de la foule : Bailly ordonne la loi martiale et La Fayette fait appel à la Garde nationale. La troupe tire sans sommation malgré les ordres reçus et fait plus de 50 morts parmi les manifestants. Cet épisode tragique, connu sous le nom de Fusillade du Champ-de-Mars, va constituer un tournant dans la Révolution, aboutissant dans l'immédiat à la fermeture du Club des Cordeliers, à l'exil de Danton, à la démission de Bailly de sa fonction de maire de Paris à l'automne, et à la perte de popularité de La Fayette dans l'opinion.
L'Assemblée poursuit la rédaction de la Constitution à partir du et adopte le texte le . Précédée de la Déclaration des droits de l'homme, elle reconnaît l'inviolabilité du roi, écarte la Constitution civile du clergé (réduite au statut de loi ordinaire), maintient le suffrage censitaire et prévoit la nomination des ministres par le roi hors de l'Assemblée. Pour le reste, l'essentiel du pouvoir est dévolu à l'Assemblée, élue pour deux ans. En revanche, rien n'est prévu en cas de désaccord entre les pouvoirs législatif et exécutif : le roi ne peut dissoudre l'Assemblée et celle-ci ne peut censurer les ministres. Ce texte jugé plutôt conservateur déçoit les députés de gauche.
Les sources d’archives relatives aux membres de la Garde constitutionnelle de Louis XVI sont décrites par les Archives nationales (France).
Louis XVI prête serment à la nouvelle Constitution le . Le président de l'Assemblée, Jacques-Guillaume Thouret (après s'être rassis) déclare à Louis XVI que la couronne de France est « la plus belle couronne de l'univers », et que la nation française « aura toujours [besoin] de la monarchie héréditaire ». Le roi signe la Constitution. Elle sera ensuite sous la sauvegarde du député Jean-Henry d'Arnaudat (ancien conseiller au parlement de Navarre), qui dormira avec jusqu'au lendemain. Le , la Constitution est publiée dans la Gazette nationale. L'Assemblée constituante se réunit la dernière fois le pour laisser place, dès le lendemain, à l'Assemblée législative.
Louis le Dernier et sa famille conduits au Temple le 13 Aoust 1792 (estampe de 1792, auteur inconnu).
Face à la déroute de l'armée, au renvoi des ministres Servan, Roland et Clavière, et au refus du souverain d'adopter les décrets sur la création du camp de fédérés et la déportation des prêtres réfractaires, les Jacobins et les Girondins entreprennent une épreuve de force pour le , date anniversaire du serment du Jeu de paume. Plusieurs milliers de manifestants parisiens, conduits par Santerre, sont ainsi encouragés à se rendre au Palais des Tuileries pour protester contre la mauvaise gestion de la guerre.
Seul, Louis XVI reçoit les émeutiers. Ceux-ci exigent du roi qu'il annule ses vetos et rappelle les ministres congédiés. Pendant cette longue occupation (qui dura de 14 heures à 22 heures), le roi ne cède rien mais garde un calme saisissant. Il affirme : « La force ne fera rien sur moi, je suis au-dessus de la terreur ». Il accepte même de porter le bonnet phrygien et de boire à la santé du peuple. Pétion part lever le siège en assurant au roi : « Le peuple s'est présenté avec dignité ; le peuple sortira de même ; que votre Majesté soit tranquille ».
Face aux avancées autrichienne et prussienne dans le nord, l'Assemblée déclare le la « Patrie en danger ». Le , quelques jours après la 3e commémoration de la Fête de la fédération, les fédérés de province et leurs alliés parisiens remettent à l'Assemblée une pétition demandant la suspension du roi.
Les événements vont s'accélérer davantage le par la publication du Manifeste de Brunswick où le duc de Brunswick avertit les parisiens que s'ils ne se soumettent pas « immédiatement et sans condition à leur roi », Paris sera promis « à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés [...] aux supplices qu'ils méritent ». Le couple royal est dès lors soupçonné d'avoir inspiré l'idée de ce texte. Robespierre demande la déchéance du roi le .
Le vers 5 heures du matin, les sections des faubourgs, ainsi que les fédérés marseillais et breton, envahissent la Place du Carrousel. La défense du Palais des Tuileries est assurée par 900 gardes suisses, leur commandant le marquis de Mandat ayant été convoqué à l'Hôtel de ville (où vient de se former une Commune de Paris avant d'y être assassiné. Le roi descend dans la cour du palais à 10 heures et se rend compte que l'édifice n'est plus protégé. Il décide donc d'aller trouver refuge avec sa famille à l'Assemblée. C'est alors que les insurgés s'engouffrent dans le palais et massacrent tous ceux qu'ils y croisent : gardes suisses, domestiques, cuisiniers et femmes de chambre. Le château est pillé et les meubles dévastés. L'assaut fera plus d'un millier de morts (dont 600 suisses sur 900) et les survivants seront par la suite jugés et exécutés.
La Commune insurrectionnelle obtient de l'Assemblée la suspension immédiate du roi et la convocation d'une convention représentative. Le soir même, le roi et sa famille sont transportés au Couvent des Feuillants où ils vont rester trois jours dans le plus grand dénuement.
Le , l'Assemblée élit un conseil exécutif de 6 ministres et fixe pour début septembre l'élection de la Convention. Elle rétablit par ailleurs la censure et demande aux citoyens de dénoncer les suspects. Elle demande enfin que la famille royale soit transférée au Palais du Luxembourg mais la Commune exige que ce soit au prieuré hospitalier du Temple, sous sa garde.
C'est donc le que la famille royale est transférée, conduite par Pétion et escortée par plusieurs milliers d'hommes armés. Elle n'occupe pas pour le moment la grande Tour du Temple non encore aménagée, mais le logement de l'archiviste réparti sur trois étages : Louis XVI vit au deuxième étage avec son valet de chambre Chamilly (qui sera remplacé par Jean-Baptiste Cléry), la reine et ses enfants au premier étage, et Madame Élisabeth la cuisine du rez-de-chaussée en compagnie de Madame de Tourzel. Les membres de la famille peuvent librement se voir mais ils sont étroitement surveillés.
Louis XVI occupe son temps entre la lecture, l'éducation du dauphin et la prière. Il s'adonne parfois au jeu de ballon avec son fils et à des parties de trictrac avec les dames. La reine s'occupe également de l'éducation de ses enfants, par l'enseignement de l'histoire au dauphin et les exercices de dictée et de musique à sa fille.
La Convention nationale décrète, lors de sa première séance le que « la royauté est abolie en France » et que « l'An I de la République française » partira du . Louis XVI perd alors tous ses titres, les autorités révolutionnaires le désignent sous le nom de Louis Capet (en référence à Hugues Capet, dont le surnom est considéré, de manière erronée, comme un nom de famille). Les décrets bloqués par le veto de Louis XVI sont alors appliqués.
Le 1er octobre, une commission est mise en place pour instruire un éventuel procès du roi, en s'appuyant notamment sur les documents saisis au Palais des Tuileries.
Le , le roi, son valet de chambre Jean-Baptiste Cléry sont transférés dans un appartement du deuxième étage de la Tour du Temple. Il quitte ainsi le logement de l'archiviste au prieuré hospitalier du Temple, dans lequel il demeurait depuis le .
Marie-Antoinette, sa fille Madame Royale, Madame Élisabeth et leurs deux servantes sont transférées dans l'étage supérieur de la tour le suivant, dans un appartement similaire à celui du désormais ancien roi.
La Convention nationale avait dès le 1er octobre mis en place une commission chargée d'instruire le procès. Celle-ci lui remet un rapport le aux termes duquel elle conclut que Louis Capet doit être jugé « pour les crimes qu'il a commis sur le trône ». Un tel procès est désormais juridiquement possible puisque sous une République, l'inviolabilité du roi n'existe plus.
Le , un débat crucial s'engage sur le point de savoir par qui le procès sera conduit. Le député de Vendée Morisson affirme que le roi a déjà été condamné en ayant été déchu. En face de lui, certains comme Saint-Just réclament sa mort, déclarant notamment que le roi est l'« ennemi » naturel du peuple, et qu'il n'a pas besoin de procès pour être exécuté.
Les preuves de la culpabilité du roi sont ténues jusqu'au , jour de la découverte aux Tuileries d'une armoire de fer dissimulée dans l'un des murs des appartements du roi. Selon le ministre de l'Intérieur Roland de la Platière, les documents qui y ont été trouvés démontrent la collusion du roi et de la reine avec les émigrés et les puissances étrangères ; il affirme également, sans plus de précision, que certains députés y sont compromisièces rapportées « n'apportent pas la preuve formelle de la collusion du roi avec les puissances ennemies », elles vont néanmoins convaincre les députés d'inculper le roi. Dans un discours du resté célèbre, Robespierre prône solennellement la mort sans délai du roi déchu, déclarant que les « peuples [...] ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent point les rois, ils les replongent dans le néant [...]. Je conclus que la Convention nationale doit déclarer Louis traître à la patrie, criminel envers l'humanité, et le faire punir comme tel [...]. Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive ».
Après des débats houleux, la Convention décide que Louis Capet sera bel et bien jugé, le tribunal étant la Convention elle-même. Elle confirme le que Louis Capet sera « traduit à la barre pour y subir son interrogatoire ». Saint-Just croit alors bon de préciser que « ce n'est pas [un monarque] que nous allons juger ; c'est la monarchie [et la] conspiration générale des rois contre les peuples ». Le lendemain, Louis XVI et son épouse se voient confisquer tous les objets tranchants dont ils se servent, à savoir rasoirs, ciseaux, couteaux et canifs.
Le procès de l'ancien roi, jugé comme un citoyen ordinaire et désormais appelé sous le nom de Citoyen Capet, s'ouvre le . À partir de ce jour, il sera séparé du reste de sa famille pour vivre isolé dans un appartement du deuxième étage de la maison du Temple, avec pour seule compagnie celle de son valet, Jean-Baptiste Cléry. Son logement, sensiblement le même que celui dans lequel il vivait avec les siens à l'étage supérieur, mesure environ 65 m2 et comprend quatre pièces : l'antichambre où se relaient les gardes et dans laquelle a été accrochée un exemplaire de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la chambre à coucher du roi, la salle à manger et la chambre du valet.
Le 1er interrogatoire a lieu le . Vers 13 heures, deux personnalités viennent le chercher : Pierre-Gaspard Chaumette (procureur de la Commune de Paris) et Antoine Joseph Santerre (commandant de la garde nationale). L'appelant désormais sous le nom de Louis Capet, ils se voient rétorquer par l'intéressé : « Capet n'est pas mon nom, c'est le nom d'un de mes ancêtres. [...] Je vais vous suivre, non pour obéir à la Convention, mais parce que mes ennemis ont la force en main ». Arrivé dans la salle du Manège au grand complet, l'accusé est accueilli par Bertrand Barère, le président de la Convention, qui le prie de s'asseoir et lui annonce : « Louis, on va vous lire l'acte énonciatif des délits qui vous sont imputés. » Barère de reprendre ensuite un par un les chefs d'accusation et de demander au roi de répondre à chacun d'entre eux. Les motifs d'inculpation sont nombreux : massacres des Tuileries et du Champ-de-Mars, trahison du serment prêté à la Fête de la Fédération, soutien des prêtres réfractaires, collusion avec les puissances étrangères, etc. Répondant à chacune des questions avec calme et brièveté, Louis XVI soutient qu'il a toujours agi dans le respect des lois qui existaient alors, qu'il a toujours combattu l'usage de la violence et qu'il a désavoué l'action de ses frères. Pour finir, il nie reconnaître sa signature sur les documents qu'on lui montre, et obtient des députés l'aide d'un avocat pour assurer sa défense. Après quatre heures d'interrogatoire, le roi est ramené à la Tour du Temple et confie à Cléry, son seul interlocuteur désormais : « J'étais bien éloigné de penser à toutes les questions qui m'ont été faites. » Et le valet de chambre de remarquer que le roi « se coucha avec beaucoup de tranquillité ».
Louis XVI accepte la proposition de défense que lui proposent trois avocats : François Denis Tronchet (futur rédacteur du Code civil), Raymond de Sèze et Malesherbes. Il refuse néanmoins l'aide que lui propose la féministe Olympe de Gouges. Le procès du roi est suivi de près par les grandes puissances étrangères, notamment la Grande-Bretagne (dont le premier ministre William Pitt le Jeune refusa d'intervenir en faveur du souverain déchu) et l'Espagne (qui fit savoir à la Convention qu'une condamnation à mort du roi remettrait en cause sa neutralité face aux événements de la Révolution).
Les interrogatoires se succèdent sans rien donner, chacune des parties campant dans ses positions. Le , de Sèze s'adresse aux députés en ces termes : « Je cherche parmi vous des juges, et je ne vois que des accusateurs ». Le , Robespierre réfute l'idée que le sort du roi soit remis entre les mains du peuple par le biais d'assemblées primaires ; il affirme en effet que les Français seraient en ce sens manipulés par les aristocrates : « Qui est plus disert, plus adroit, plus fécond en ressources, que les intrigants [...], c'est-à-dire que les fripons de l'ancien et même du nouveau régime ? ».
La conclusion des débats revient à Barère le , au moyen d'un discours dans lequel il souligne l'unité de la conspiration, les divisions des Girondins sur l'appel au peuple, et enfin l'absurdité du recours à celui-ci. La reprise des délibérations est programmée pour le suivant, où trois points seraient abordés : la culpabilité du roi, l'appel au peuple et la peine à infliger. D'ici là, le roi consacre ses journées à la prière et à l'écriture ; à ce titre, il avait le rédigé son testament.
L'issue du procès prend la forme du vote de chaque député sur les trois questions évoquées par Barère, chacun des élus votant individuellement à la tribune.
La Convention se prononce le sur les deux premières questions, à savoir :
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culpabilité du roi pour « conspiration contre la liberté publique et la sûreté générale de l'État » : 691 pour et 10 abstentions ;
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recours au peuple pour ratifier le jugement : 424 contre, 287 pour, 12 abstentions.
Du à 10 heures au à 20 heures se déroule le vote relatif à la sentence à appliquer, chacun des votants est amené à justifier sa position :
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366 voix pour la mort immédiate, 34 pour la mort avec sursis à exécution, 319 voix pour la détention et le bannissement, 2 voix pour les travaux forcés.
Une partie de l'Assemblée demande un nouveau vote, arguant que certains députés n'étaient pas d'accord avec la catégorie dans laquelle leur voix était classée. Le se déroule ce nouveau scrutin :
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361 voix pour la mort immédiate, 26 pour la mort sous réserve d'examiner la possibilité d'un sursis à exécution (amendement de Mailhe), 44 pour la mort avec sursis, 290 pour d'autres peines, 5 abstentions.
Le a lieu un nouvel appel nominal : « Sera-t-il sursis à l'exécution du jugement de Louis Capet ? ». Le vote est terminé le 20 à 2 heures du matin :
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380 voix contre le sursis à exécution, 310 pour, soit 70 voix de majorité pour l'exécution sans délai.
Exécution de Louis XVI sur la place de la Révolution, (musée de la Révolution française).
Louis XVI est guillotiné le lundi à Paris, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Avec son confesseur l'abbé Edgeworth de Firmont, le roi monte à l'échafaud. Le couperet tombe à 10 heures 22, sous les yeux notamment de cinq ministres du conseil exécutif provisoire.
Selon son bourreau, il déclare lors de son installation sur l'échafaud : « Peuple, je meurs innocent ! », puis au bourreau Sanson et ses assistants « Messieurs, je suis innocent de tout ce dont on m'inculpe. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français ».
Dans son ouvrage Le Nouveau Paris, paru en 1798, l'écrivain et essayiste politique Louis-Sébastien Mercier raconte l'exécution de Louis XVI en ces termes : « […] Est-ce bien le même homme que je vois bousculé par quatre valets de bourreau, déshabillé de force, dont le tambour étouffe la voix, garrotté à une planche, se débattant encore, et recevant si mal le coup de la guillotine qu'il n'eut pas le col mais l'occiput et la mâchoire horriblement coupés ? ».
Cénotaphes à la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans la basilique Saint-Denis.
Marie-Antoinette Josèphe Jeanne de Habsbourg-Lorraine, née le à Vienne en Autriche et morte guillotinée le sur la place de la Révolution à Paris, est reine de France et de Navarre de 1774 à 1791, puis reine des Français de 1791 à 1792. Elle est la dernière reine de l’Ancien Régime.
Archiduchesse d’Autriche, princesse impériale et princesse royale de Hongrie et de Bohême, elle est l'avant-dernière enfant et la plus jeune fille de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche et de François Ier, empereur du Saint-Empire.
Elle devient dauphine de France en 1770, à quatorze ans, par son mariage avec le futur roi Louis XVI, puis reine de France en 1774, lorsque son époux monte sur le trône. Après huit ans de mariage, elle donne naissance à Marie-Thérèse, première de ses quatre enfants. Elle perd en popularité en raison d’accusations de sympathies avec les ennemis de la France, en particulier avec son Autriche natale, et de l’affaire du collier, où elle se trouve être en réalité victime d'une escroquerie. Des surnoms dévalorisants, comme « l’Autrichienne » ou « Madame Déficit », circulent alors. Tout comme son mari, elle n'apprécie guère les contraintes de la cour et aime se consacrer du temps, notamment au hameau de la Reine.
Aux débuts de la Révolution française, elle est placée en résidence surveillée au palais des Tuileries, avec la famille royale. La tentative de fuite de 1791 à Varennes et son rôle dans la guerre de la Première Coalition continuent de dégrader son image. En 1792, la famille royale est emprisonnée à la prison du Temple et la monarchie abolie. Alors que Louis XVI est exécuté le , le procès de la reine devant le Tribunal révolutionnaire s'ouvre le suivant ; deux jours plus tard, elle est condamnée pour haute trahison et exécutée au moyen d'une guillotine.
Marie-Antoinette est la quinzième et avant-dernière enfant de l’empereur François Ier du Saint-Empire et de l’archiduchesse d’Autriche, reine de Hongrie et de Bohême Marie-Thérèse dite « la Grande ». Elle grandit au milieu de leurs cinq fils (Joseph l’héritier du trône, Léopold, Charles, Ferdinand et Maximilien) et de leurs huit filles (Marie-Anne, Marie-Christine, Marie-Élisabeth, Marie-Amélie, Marie-Jeanne, Jeanne-Gabrielle, Marie-Josèphe, Marie-Caroline)[source insuffisante]1.
L'archiduchesse, prénommée Marie-Antoinette-Josèphe-Jeanne, naît le , au palais de la Hofburg, à Vienne. Le 2 novembre est le jour suivant la fête de la Toussaint, où l'Église catholique commémore les défunts. Ses parrain et marraine sont le roi Joseph Ier de Portugal et son épouse la reine Marie-Anne-Victoire d'Espagne. On apprend quelques jours plus tard qu'un tremblement de terre a ravagé Lisbonne la veille de la naissance de l'archiduchesse ; d'aucuns y voient, surtout après 1793, un mauvais présage.
Elle est baptisée sous les prénoms de Maria Antonia Josepha Joanna. Elle est aussitôt confiée aux « ayas », les gouvernantes de la famille royale comme Mme de Brandeis et partage son enfance entre le palais de la Hofburg à Vienne et le château de Schönbrunn. Son enfance est ponctuée de nombreuses rencontres, comme celle avec le tout jeune enfant prodige Mozart dans le Salon des Glaces du palais de Schönbrunn le , ce dernier l’ayant ingénument demandée en mariage à cette occasion.
Marie-Antoinette reçoit une éducation où le maintien, la danse, la musique et le paraître occupent l’essentiel de son temps, ne bénéficiant, de ce fait, d’aucune éducation politique. Ainsi, à l'âge de dix ans, elle a encore du mal à lire et à écrire en allemand, parle peu et difficilement le français, et très peu l’italien — trois langues qui étaient alors parlées couramment dans la famille impériale, sans compter son apprentissage des rudiments de latin. Mme de Brandeis, rendue responsable par l'impératrice du retard de la jeune princesse, est congédiée et est remplacée par Mme de Lerchenfeld, plus sévère. Maria Antonia est à cette époque une enfant espiègle, étourdie et volontiers moqueuse.
À cette époque, la cour d’Autriche possède une étiquette beaucoup moins stricte que celle de Versailles : les danses y sont moins complexes, le luxe y est moindre et la foule moins nombreuse. La jeune Maria Antonia Josepha est très proche de sa sœur, Marie-Caroline qui a trois ans de plus qu'elle, un caractère affirmé et qui, dans le cadre de la réconciliation entre les Maisons d'Autriche et de France, deviendra reine de Naples et de Sicile en épousant en 1768 Ferdinand, roi de Naples et de Sicile.
Sa mère Marie-Thérèse, comme tous les souverains de l’époque, met le mariage de ses enfants au service de sa politique diplomatique, qui vise à réconcilier, après des siècles de guerres, les Maisons d'Autriche et de France, dans le contexte du renversement des alliances et de la fin de la guerre de Sept Ans, et ainsi faire face aux ambitions conjointes de la Prusse et de la Grande-Bretagne.
Ainsi, parmi les sœurs aînées de Marie-Antoinette, seule Marie-Christine, l’enfant préféré de l’impératrice, peut épouser en 1766 — après la mort de leur père qui y était opposé — le prince Albert de Saxe, fils cadet de l'électeur de Saxe et Roi de Pologne Auguste III de Pologne et frère de la dauphine de France Marie-Josèphe de Saxe, mère du futur Louis XVI de France. Pour améliorer le sort de son gendre, prince de second rang, le prince cadet saxon est même créé duc de Teschen par Marie-Thérèse. Marie-Christine et Albert sont nommés régents des Pays-Bas en 1780 à la suite de leur oncle, le prince Charles-Alexandre de Lorraine.
En revanche, Marie-Amélie épouse contre son gré, en 1769, Ferdinand Ier, duc de Parme, et Marie-Caroline épouse en 1768 Ferdinand IV, le roi de Naples et des Deux-Siciles, après que deux sœurs successivement promises au jeune monarque furent mortes prématurément.
L'archiduchesse grandit au sein d'une famille unie qui, tout en conservant les formes extérieures que leur impose leur rang, sait se ménager des instants d'intimité familiale. Le mariage de l'empereur et de l'impératrice était non seulement une union politique mais aussi un mariage d'inclination, la future impératrice s'étant éprise dès son jeune âge de ce cousin arrivé de Lorraine à l'âge de 14 ans pour parfaire ses études (et — suivant les vœux secrets de son père le duc Léopold Ier — épouser la fille aînée de l'empereur Charles VI, le dernier rejeton mâle de la Maison de Habsbourg). Le couple impérial fut particulièrement uni et, tant que dura sa vie conjugale, partagea la même chambre.
La mort de l'empereur François Ier en 1765 laisse l'impératrice inconsolable. Le deuil est également extrêmement douloureux pour Marie-Antoinette qui n'a que 9 ans. Philosophe, il conseillait à ses enfants de penser quelquefois à leurs fins dernières. C'était un père aimable beaucoup moins sévère que l'impératrice.
Nonobstant son chagrin, Marie-Thérèse prend seule en main l'éducation de ses filles et s'attache particulièrement à conclure le mariage entre le dauphin Louis-Auguste — futur Louis XVI — et sa fille Marie-Antoinette, qui doit concrétiser la réconciliation des deux Maisons les plus prestigieuses d'Europe. Louis XV ne voit pas d'inconvénient au mariage de la princesse avec son petit-fils à condition que celle-ci soit capable de parler convenablement français. Cela semble perdu d'avance. C'est pourquoi l'abbé Mathieu-Jacques de Vermond est envoyé à la Cour de Vienne pour enseigner sa future langue à la future dauphine. Celle-ci semble bien progresser. Le roi envoie également des spécialistes français reconnus afin d'améliorer entre autres sa denture, alors très mauvaise, et sa coiffure.
Le au soir, Marie-Antoinette, âgée de 14 ans et 3 mois, est « réglée », donc prête à être donnée en mariage et à donner un dauphin à la couronne de France. Les négociations en vue du mariage sont menées à un rythme plus soutenu. Dès le , Marie-Antoinette renonce officiellement à ses droits sur les couronnes dépendant de la Maison d’Autriche. Le , on célèbre son mariage par procuration, à cinq heures du soir, dans l'église des Augustins. Seul le mariage de Louis XIV avec l'infante, fille aînée et potentielle héritière du roi d'Espagne, avait eu un semblable retentissement.
Deux jours plus tard, le 21 avril, au petit matin, la benjamine de la famille impériale, âgée de 14 ans et 5 mois, quitte définitivement Vienne et l'Autriche. Sa mère lui fait alors un grand nombre de recommandations. De douloureux pressentiments entourent alors son départ de Vienne. Weber dit, dans ses mémoires :
« On a peine à se défendre de la superstition des pressentiments quand on a vu les adieux de Marie-Antoinette à sa famille, à ses serviteurs et à son pays, en 1770. Hommes et femmes se livrèrent aux mêmes expressions de la douleur. Les avenues, comme les rues de Vienne en retentirent. On ne rentrait chez soi qu'après avoir perdu de vue le dernier courrier qui la suivait, et l'on y rentrait que pour gémir en famille d'une perte commune . »
L'impératrice sa mère semble aussi touchée par le phénomène. Une anecdote raconte que l'abbé Joseph Gassner, ecclésiastique venu chercher l'asile à Vienne, se croyant inspiré par Dieu, à une question de Marie-Thérèse lui demandant comment allait sa fille, ne répondit pas, pâlit, et finit par articuler : « Madame, il est des croix pour toutes les épaules. »
Marie-Thérèse demanda aux princesses Charlotte et Louise de Hesse-Darmstadt, amies de Marie Antoinette, d'accompagner cette dernière en France.
En chemin pour la France, Marie-Antoinette croise le cortège de sa tante paternelle Anne-Charlotte de Lorraine, résolument opposée à l'alliance avec la France.
Après environ trois semaines de voyage, le , la jeune Marie-Antoinette arrive à Kehl où elle doit participer au rite de « remise de l'épouse », tradition de l'Ancien Régime. Au moment de quitter le Saint-Empire, tous les biens venant de son pays d’origine, même ses vêtements, lui sont retirés dans un bâtiment construit en bois à cet effet sur l'île aux Épis, au milieu du Rhin, entre les villes de Kehl et de Strasbourg, formant ainsi une sorte de « rite de passage » de sa vie de jeune fille à sa vie de femme mariée au dauphin. Le choix de cette île, entre l'Allemagne et la France représente également une sorte de zone neutre : les deux entrées de ce bâtiment sont disposées de telle manière qu’elle y entre dans l'Empire et en ressort en France. À cette occasion, lui est présentée sa première dame d'honneur, Mme de Noailles qui lui présente alors la duchesse de Villars, sa dame d'atours, ainsi que les comtesses de Mailly, de Tavannes, la duchesse de Picquigny et la marquise de Duras, ses secondes dames d'honneur.
Une fois le rituel achevé, elle sort du bâtiment par la porte côté français, sous une pluie battante. Arrivée à Strasbourg, le temps redevenu clément, elle est complimentée de toutes parts et à M. d'Autigny, préteur royal de la ville, qui s'adresse à elle en allemand, elle répond : « Non ! Ne parlez point allemand, s'il vous plaît. À dater d'aujourd'hui, je n'entends plus d'autre langue que le français. » Parvenue à l'Évêché, elle fait la connaissance du vieux cardinal de Rohan qui l'attend et reçoit trente-six jeunes femmes de la noblesse d'Alsace. Puis elle se rend le soir-même à la comédie où l'on donne alors Dupuis et Desronnais ainsi que la Servante maîtresse. Le lendemain, remerciant M. d'Autigny du bel accueil qui lui avait été réservé, elle quitte Strasbourg pour cinq jours de voyage, au bout duquel elle rencontrera enfin le dauphin à qui elle est promise.
À Saverne, sa première escale, elle voit pour la première fois une résidence princière française, le château des princes évêques de Strasbourg, alors récemment embelli. Le , elle s'arrête à Nancy, ancienne-capitale du duché de Lorraine, lieu de naissance de son père et capitale ancestrale de sa famille. Elle se recueille en l'église des Cordeliers, devant les tombeaux de ses ancêtres paternels, les ducs de Lorraine et de Bar. Le 10, elle passe à Bar-le-Duc, ancienne capitale du Duché de Bar. Le 11, le cortège passe à Châlons-sur-Marne (siège de la généralité de Champagne) où « Madame la Dauphine » assiste à la représentation de La Partie de chasse de Henri IV, le 12 à Soissons où elle séjourne quarante-huit heures. Weber écrit aussi, à propos de ce voyage :
« Sur la route, tous les habitants des campagnes abandonnent leurs travaux pour venir la saluer. Les chemins sont jonchés de fleurs ; les jeunes filles, dans leurs plus belles parures, présentent leurs bouquets à la dauphine, qui sourit à la naïveté des unes, daigne répondre aux compliments des autres, et les accueille toutes avec bonté. À vingt lieues de Strasbourg, les habitants des villages voisins se sont rassemblés. On entendait de toutes parts retentir les cris de : « Vive la dauphine ! Vive le dauphin ! » Le chemin était obstrué par la foule. Les stores de sa voiture étaient levés et tous les spectateurs pouvaient contempler à loisir sa beauté, son sourire enchanteur, sa douce physionomie. De jeunes paysans se disaient l'un à l'autre : « Qu'elle est jolie, notre dauphine ! » »
. Le enfin, à deux pas de Compiègne, la jeune dauphine rencontre le premier ministre, le duc de Choiseul, venu au-devant d'elle. Marie-Antoinette sait que le duc de Choiseul, favorable à l'alliance autrichienne, est l'artisan de son mariage.
La jeune princesse va ensuite attendre la cérémonie de son mariage près de Paris au château de la Muette, dont le dauphin avait pris possession en 1764.
Si le peuple des campagnes se réjouit de l'arrivée de sa future souveraine, la jeune dauphine ignore tout de l'animosité qu'inspire à la cour — et à la famille royale — l'alliance de son pays d'origine et son pays d'accueil. Elle fut surnommée « l’Autrichienne » dès son arrivée à Versailles.
Le , Marie-Antoinette épouse le dauphin à Versailles.
Le jour même des noces, un scandale d’étiquette a lieu : tout comme l'avaient fait leurs ancêtres en 1698 lors du mariage d'Élisabeth-Charlotte d'Orléans, nièce de Louis XIV avec le duc Léopold Ier de Lorraine (grand-père de Marie-Antoinette), les princesses de Lorraine, arguant de leur parenté avec la nouvelle dauphine, ont obtenu de danser avant les duchesses, au grand dam du reste de la noblesse qui, suivant l'exemple des filles de Louis XV, murmure déjà contre « l’Autrichienne ».
Le soir du place Louis XV, où l'on fête le mariage princier, est tiré un feu d'artifice ; une fusée tombe sur les pièces d'artifice destinées au bouquet final, créant un incendie, puis une véritable panique, conduisant à la mort de plusieurs centaines de victimes (131 selon les chiffres officiels, mais en réalité vraisemblablement autour de 400). Bouleversés, le dauphin et la dauphine — qui n'ont que 15 ans — financeront sur leur cassette personnelle une importante aide aux victimes et à leurs familles.
La jeune fille, au physique agréable, est assez petite et ne possède pas encore la « gorge » si appréciée en France. Elle est blonde, d'un blond assez soutenu tirant sur le roux, qui, sous la poudre, prend des reflets rosés. Ses yeux bleu pâle sont un peu trop saillants. Son visage, au vaste front bombé, considéré comme trop haut, offre un ovale très allongé. Le nez, qui promet d'être légèrement aquilin, offre peu de finesse. La jeune dauphine a néanmoins beaucoup de grâce et une légèreté presque dansante dans sa façon de se mouvoir. Archiduchesse d’Autriche, arrière-petite nièce de Louis XIV, par sa grand-mère paternelle Élisabeth-Charlotte d'Orléans, duchesse de Lorraine et de Bar, objet vivant du « renversement des alliances » du roi Louis XV, elle attire dès son arrivée l’inimitié d’une partie de la cour. De plus, la jeune dauphine a du mal à s’habituer à sa nouvelle vie, son esprit se plie mal à la complexité et à la rouerie de la « vieille cour », au libertinage du roi Louis XV et de sa maîtresse la comtesse du Barry. Son mari l’aime mais l’évite, partant très tôt chasser ; elle peine à s’habituer au cérémonial français, au manque d’intimité et subit péniblement « l’étiquette », rigide mode d’emploi de la cour.
Joseph Siffred Duplessis, Marie-Antoinette, dauphine de 16 ans, 1771-1772.
Elle est manipulée par « Mesdames Tantes », les filles du roi Louis XV, qui lui enseignent l’aversion pour la comtesse du Barry, ce qui agace Louis XV. Par ailleurs, Marie-Antoinette s’en fera bientôt une ennemie : pendant les premiers temps, elle refuse de lui parler mais, forcée par Louis XV, et poussée par Marie-Thérèse sa mère, et le diplomate autrichien Florimond de Mercy-Argenteau — ambassadeur d’Autriche à Paris —, elle finit par adresser la parole à la comtesse lors de la réception du 1er janvier 1772 avec ces quelques mots : « Il y a bien du monde aujourd'hui à Versailles ». Marie-Antoinette ressortira humiliée de cet incident, surtout que Mesdames tantes verront en son acte une haute trahison. La reine écrit ainsi au comte de Mercy-Argenteau : « J’ai parlé une fois ; mais je suis bien décidée à en rester là, et cette femme n’entendra plus le son de ma voix ». En outre, Vienne tente de la manipuler par le biais de la volumineuse correspondance qu’entretient sa mère avec le comte de Mercy-Argenteau. Ce dernier est le seul sur lequel elle puisse compter, car le duc de Choiseul, celui qui avait permis le rapprochement de la France avec l’Autriche, est tombé en disgrâce moins d’un an après le mariage, victime d’une cabale montée par Mme du Barry. Cette fameuse correspondance secrète de Mercy-Argenteau est une large source d’information sur les détails de la vie de Marie-Antoinette depuis son mariage en 1770 jusqu’au décès de Marie-Thérèse Ire en 1780. Selon l’auteur du livre regroupant cette correspondance : « Ces documents originaux ne se contentent pas de nous introduire dans son intimité, ils nous révèlent aussi comment Marie-Antoinette, dépourvue d’expérience et dénuée de culture politique, fut manipulée par sa famille autrichienne à laquelle elle demeura toujours attachée ».
Une tradition fait de Marie-Antoinette d'Autriche celle qui aurait officiellement introduit et popularisé en France le croissant à partir de 1770, d'où le nom de viennoiserie.
Le roi Louis XV meurt le et Marie-Antoinette devient reine de France et de Navarre à 18 ans. Toujours sans héritier à offrir à la France et toujours considérée comme une étrangère même par la famille royale qu'elle n'aime pas, la reine devient, dès l’été 1777, la cible de premières chansons hostiles qui circulent de Paris jusqu’à Versailles.
Une véritable coterie se monte contre elle dès son accession au trône, des pamphlets circulent, d'abord de courts textes pornographiques puis des libelles orduriers. Ses déboires conjugaux étant publics — le mariage entre elle et Louis XVI met sept ans à être consommé —, on l’accuse d’avoir des amants (le comte d’Artois son beau-frère, le comte suédois Hans Axel de Fersen) ou même des maîtresses (la duchesse de Polignac, la princesse de Lamballe), de dilapider l’argent public en frivolités (robes de Rose Bertin, parfums de Jean-Louis Fargeon) ou pour ses favoris, de faire le jeu de l’Autriche, désormais dirigée par son frère Joseph II. Elle y est clouée au pilori comme une nymphomane perverse et insatiable et bien vite la certitude de son insatiable érotisme se répand. Elle est décrite comme une « prostituée babylonienne », une « infâme tribade » ayant l'habitude, à Trianon, d'épuiser quotidiennement plusieurs hommes et plusieurs femmes pour satisfaire sa « diabolique lubricité ». De plus, le couple royal n'arrive pas à procréer, ce qui alimente les rumeurs sur l'impuissance de Louis XVI ou la stérilité de Marie-Antoinette, rumeurs généreusement répandues par le comte de Provence — successeur potentiel de son frère — qui se juge seul apte à gouverner. Le roi se révèle en fait inexpérimenté et intimidé par sa femme avec qui il ne s'entend pas. Cette dernière, peu attirée par son époux, se montre réticente à accomplir le devoir conjugal. Sa mère Marie-Thérèse, craignant pour la survie de l'Alliance franco-autrichienne et que sa fille puisse être répudiée, envoie son fils aîné Joseph le à la Cour de France afin d’analyser au mieux la situation du couple. Un an plus tard, le couple donne naissance à sa première fille, Marie-Thérèse-Charlotte mais cette naissance tant attendue apparaît suspecte et fait naître la rumeur de bâtardise de l'enfant, la paternité de la princesse étant attribuée au comte d'Artois ou au duc de Coigny.
« Sa beauté n'est pas régulière. […]. D'aucuns lui reprochent aussi la mâchoire trop forte des Habsbourg et une poitrine trop abondante. […]. Elle est « grande, admirablement faite » avec « des bras superbes » (Mme Vigée-Lebrun). […]. « Sa peau, dit encore sa portraitiste, était si transparente qu'elle ne prenait point d'ombre. » […]. « C'était la femme de France qui marchait le mieux » (Vigée-Lebrun) […]. « On n'a jamais fait la révérence avec tant de grâce » s'émerveille Tilly. Elle salue dix personnes en se ployant une seule fois. De la tête et du regard elle donne à chacun ce qui lui revient. […]. L'intelligence n'est pas moins vive. La correspondance le montre. »
« Marie-Antoinette ne peut souffrir les personnages ennuyeux. » On dit d'elle qu'elle a un bon caractère mais qu'elle est en même temps partiale. « Le trait déplaisant de son caractère est la partialité. […]. Beaucoup accusent Marie-Antoinette de légèreté. À commencer par sa propre mère. […]. Elle aime seulement à se divertir, […]. »
Marie-Antoinette aime le théâtre, la comédie, le jeu (pharaon, trictrac, billard…). Elle aime la danse (« On dit qu'elle ne danse pas en mesure, écrit Horace Walpole, mais alors c'est la mesure qui a tort ») et la musique. Elle chasse également. Le duc de Croÿ rapporte qu'« elle monte supérieurement ». Elle aime les toilettes. Pour le choix de ses tenues, elle bénéficie des conseils de Rose Bertin, pour les parfums de celui de Jean-Louis Fargeon, et pour les coiffures de celui de Léonard-Alexis Autié. Elle aime également les voyages dans les différents châteaux de la Cour autour de Paris, l'aménagement intérieur et la décoration. Elle lit même si la lecture n'est pas son passe-temps préféré.
« On lui passe difficilement ses bals et ses soirées dansantes chez ses amies ou ses beaux-frères. On ne lui pardonne pas les bals masqués de l'Opéra, inconvenants, juge-t-on, pour une reine de France. Malheureusement elle en raffole, et s'y fait conduire plusieurs fois pendant le carnaval. […]. On lui reproche aussi sa passion du jeu. Tous les soirs, elle joue au Pharaon jusqu'à deux ou trois heures du matin. […]. L'opinion publique lui fait grief de ses goûts dispendieux en matière de toilettes et de réceptions. Elle aime les toilettes, c'est vrai, mais ses fournisseurs en profitent abusivement. […]. Pour les réceptions et les voyages, Marie-Antoinette manifeste parfois des exigences coûteuses. […]. La reine agit de même pour les aménagements et décorations de ses appartements. Tout doit être fait tout de suite, et sans avoir égard au coût de l'opération. […]. En décoration son goût n'est pas toujours le meilleur, mais il est parfait en musique. Musicienne elle-même – elle chante et joue de la harpe et de la flûte –, elle exerce dans cet art un intelligent mécénat. Elle protège Gluck, son ancien professeur de musique, et surtout elle réalise fort bien le caractère novateur de son art. »
« Souvent même, elle paraît plus proche de la philosophie nouvelle que de la religion. Sa piété est jugée tiède. »
Si les actes de piété ne sont pas ce que la postérité retiendra de ce personnage, sa dernière lettre à Élisabeth de France, sœur du Roi, confirme la foi de la Reine. Dans les instants tragiques séparant sa condamnation à mort de son exécution, après avoir délicatement refusé le prêtre assermenté à la constitution civile du clergé, elle accomplit son devoir de chrétienne, pardonner et demander pardon :
« Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée. [...] Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que, dans Sa bonté, Il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps, pour qu’Il veuille bien recevoir mon âme dans Sa miséricorde et Sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais et à vous ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu leur causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. »
Si elle a longtemps mené une vie insouciante, entre les intrigues de la Cour et sa ferme de Trianon, elle tente d’influencer la politique du roi, de faire et défaire les ministres, toujours sur les conseils intéressés de ses amis. Mais, contrairement à la rumeur, son rôle politique s’avère extrêmement limité. Le baron Pichler, secrétaire de Marie-Thérèse Ire, résume poliment l’opinion générale en écrivant : « Elle ne veut être ni gouvernée ni dirigée, ni même guidée par qui que ce soit. C’est le point sur lequel toutes ses réflexions paraissent jusqu’à présent s’être concentrées. Hors de là, elle ne réfléchit encore guère, et l’usage qu’elle a fait jusqu’ici de son indépendance le prouve assez, puisqu’il n’a porté que sur des objets d’amusement et de frivolité. » Une lettre adressée le à son frère Joseph montre les limites de l'influence politique de la Reine : « Je ne m'aveugle pas sur mon crédit ; je sais que, surtout pour la politique, je n'ai pas grand ascendant sur l'esprit du roi. Serait-il prudent pour moi d'avoir avec son ministre des scènes sur des objets sur lesquels il est presque sûr que le roi ne me soutiendrait pas ? Sans ostentation ni mensonge, je laisse croire au public que j'ai plus de crédit que je n'en ai véritablement, parce que, si on ne m'en croyait pas, j'en aurais encore moins. »
S’entourant d’une petite cour d’amis vite qualifiés de favoris (la princesse de Lamballe, le duc de Lauzun, le baron de Besenval, le duc de Coigny puis la comtesse de Polignac plus enjouée et spirituelle que la princesse de Lamballe qu'elle juge trop pieuse et timorée), elle suscite les jalousies des autres courtisans surtout après avoir évincé de sa cour les vieux aristocrates. Ses toilettes et les fêtes coûteuses qu’elle organise profitent au rayonnement de la France, notamment pour la mode et le commerce du textile, mais sont critiquées, bien qu’elles soient une « goutte d’eau » dans les dépenses générales de la cour, des administrations, ou comparées au niveau de vie de certains princes de sang ou seigneurs menant grand train. Au total, les dépenses de la cour ne représentent que 7 % du budget du royaume, soit guère plus que les règnes précédents.
« Elle tient grand couvert et reçoit trois fois par semaine à Versailles. »
Pour retrouver à Versailles ce qu’elle a connu à Vienne — une vie plus détendue en famille avec ses amis —, elle va souvent avec quelques privilégiés au Petit Trianon — construit par Louis XV sous l'impulsion de sa maîtresse, Madame de Pompadour, qui mourra avant que celui-ci ne soit terminé, puis que Louis XVI offrit à Marie-Antoinette. Elle fait construire un village modèle, le Hameau de la Reine, où elle installe des fermiers. Dans son petit théâtre, elle joue notamment Le Barbier de Séville de Beaumarchais et tient souvent des rôles de servante devant un Louis XVI amusé. Par son désir de plaisirs simples et d’amitiés exclusives, Marie-Antoinette va vite se faire de plus en plus d’ennemis, même à la cour de Versailles.
« Les escapades de Marie-Antoinette sont aussi fréquentes. Si Marly est délaissé — le cérémonial paraissant encore plus gênant qu'à Versailles — le petit Trianon a toute la faveur de la reine. […] Enthousiaste, la baronne d'Oberkirch ne s'étonne pas que la reine y reste « la plus grande partie de la belle saison ». Les usages ne sont pas ici ceux de la Cour, ils imitent plutôt la simplicité de vie de la gentilhommerie. La reine « entrait dans son salon sans que le piano-forte ou les métiers de tapisserie fussent quittés par les dames, et les hommes ne suspendaient ni leur partie de billard ni celle de trictrac ». Trianon offre peu de logements. Aussi les invités dînent-ils avec la reine, passent l'après-midi, soupent puis reviennent coucher à Versailles. Le roi et les princes (sauf Madame Élisabeth) viennent en galopins. Dames d'honneur et du palais n'y sont pas davantage établies, mais, par grâce royale, peuvent y venir souper les mercredis et samedis, nommés ainsi « jours du palais ». Vivre en particulier loin de la pompe monarchique, échapper à la tyrannie de l'étiquette, abandonner les fastueux mais encombrants habits de Cour pour « une robe de percale blanche, un fichu de gaze, un chapeau de paille », fait le bonheur de Marie-Antoinette. Au hameau — auquel on a donné « à grands frais l'aspect d'un lieu bien pauvre » — la reine joue à la fermière, regarde pêcher dans le lac ou assiste à la traite des vaches. »
« Après la mort de la marquise de Pompadour (1764), l'arrivée en France de l'archiduchesse Marie-Antoinette en 1770 ranime la vie musicale à Versailles. La dauphine cultive le chant, touche le clavecin et la harpe. […]. Plus que son talent de harpiste, la protection qu'elle accorde aux musiciens « constitue son vrai mérite musical ». Négligeant peintres et écrivains, la reine met son influence au service des musiciens, attire à la Cour Gluck (1773), Piccinni — le maître le plus célèbre d'Italie (1776) —, Sacchini (1781), favorise la carrière de Grétry. Très attachée à l'auteur de Richard Cœur de Lion, elle le nomme directeur de sa musique particulière (1787), lui obtient dons et pensions, accepte d'être la marraine d'une de ses filles, favorise la création de ses opéras-comiques à Versailles, Fontainebleau ou Trianon. Dès son arrivée à la Cour, le chevalier Gluck, son ancien professeur à Vienne, est comblé d'honneurs. Six mille livres de pension et autant pour chaque opéra qu'il fera jouer doivent le retenir à Versailles. »
Depuis 1774 et jusqu'à sa mort en 1784, Philipp Joseph Hinner (de), « maître de harpe de la reine », enseigne la harpe à Marie-Antoinette.
« Marie-Antoinette suit son exemple [de Madame de Pompadour]. Dauphine, elle courait avec son mari les salles parisiennes. Reine, elle ne change pas ses habitudes. « Sa Majesté, écrit Mercy-Argenteau en 1777, est venue aux spectacles de Paris deux ou trois fois chaque semaine. » Avec ses belles-sœurs elle anime agréablement sa société intime : elle apprend à jouer et possède son théâtre à Trianon. Au printemps 1780, elle devient actrice, avec une prédilection pour les comédies à ariettes. »
« Vrai et gai. La cour de France lui doit pour une bonne part le charme riant de ses derniers feux. Se plaisant à la vie de famille et aux simples réunions amicales, elle fait aménager pour sa vie intime à Versailles, Fontainebleau, Compiègne et Saint-Cloud, des petits appartements tapissés de toiles peintes à motifs de fleurs et d'oiseaux, ornés de lambris blancs et de glaces. Ennemie du cérémonial et de l'étiquette, elle invente un nouveau style de vie et de divertissement. À Marly, par exemple, en 1788, elle établit une espèce de café, où les seigneurs et les dames vont prendre leur petit déjeuner le matin. On se met à une petite table, et chacun se fait servir ce qu'il veut »
Les papiers personnels de Marie-Antoinette, dont sa correspondance secrète avec Hans Axel de Fersen sont conservés aux Archives nationales (site de Pierrefitte-sur-Seine), sous la cote 440AP. La consultation se fait uniquement sous forme de microfilms. L'analyse de l'encre des mentions occultées de ses lettres à Hans Axel de Fersen a permis de confirmer les sentiments amoureux qu'elle lui manifestait.
Dans la lettre datée du , Marie-Antoinette lui a précisé : « je vais finir, non pas sans vous dire mon bien cher et tendre ami que je vous aime à la folie et que jamais jamais je ne peux être un moment sans vous adorer » (analyse réalisée par spectrométrie de fluorescence des rayons X, micro-faisceau μXRF).
Vues du Hameau de la reine à Versailles.
Marie Antoinette et Axel de Fersen.
L'affaire du collier est racontée dans un article consacré au cardinal de Rohan...
Le s’ouvrent les États généraux. Lors de la messe d’ouverture, Mgr de La Fare, qui est à la chaire, attaque Marie-Antoinette à mots à peine couverts, dénonçant le luxe effréné de la cour et ceux qui, blasés par ce luxe, cherchent le plaisir dans « une imitation puérile de la nature », allusion évidente au Petit Trianon.
Le 4 juin, le petit dauphin meurt. Pour éviter la dépense, on sacrifie le cérémonial de Saint-Denis. L’actualité politique ne permet pas à la famille royale de faire son deuil convenablement. Bouleversée par cet événement et désorientée par le tour que prennent les États généraux, Marie-Antoinette se laisse convaincre par l’idée d’une contre-révolution. En juillet, Necker démissionne. Le peuple interprète cette démission comme un renvoi de la part du roi. La reine brûle ses papiers et rassemble ses diamants, elle veut convaincre le roi de quitter Versailles pour une place forte sûre, loin de Paris. Il faut dire que, depuis le 14 juillet, un livre de proscription circule dans Paris. Les favoris de la reine y sont en bonne place et la tête de la reine elle-même est mise à prix. On l’accuse de vouloir faire sauter l’Assemblée avec une mine et de vouloir faire donner la troupe sur Paris, ce qui est faux. Il est néanmoins vrai que la reine prônera l’autorité et restera toujours ancrée dans la conviction de la légitimité du pouvoir royal.
Le 1er octobre, un nouveau scandale éclate : lors d’un banquet donné par les gardes du corps de la Maison militaire, au régiment de Flandre qui vient d’arriver à Paris, la reine est acclamée, des cocardes blanches sont arborées, et, selon la presse révolutionnaire, des cocardes tricolores auraient été foulées. Paris est outré par ces manifestations contre-révolutionnaires et par la tenue d’un banquet, alors que le pain manque à Paris. Il en résulte les journées révolutionnaires d'octobre, dont l'historiographie (tel le récit romancé de Jules Michelet) a retenu « la marche des femmes sur Versailles, disant aller chercher « le boulanger » (le roi), « la boulangère » (la reine) et le « petit mitron » (le dauphin) ».
Depuis 1931, on attribue à Marie-Antoinette une boutade cynique : « S’ils n’ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche ! ». Or, elle n'a pas pu prononcer cette phrase qui figure déjà dans le Livre VI des Confessions de Jean-Jacques Rousseau publiées en 1782. Aucune personne n'attribua la boutade à Marie-Antoinette à l'époque en 1789, les partisans de la Révolution compris.
Pour la famille royale, la conséquence principale de ces deux journées est son déménagement forcé, de Versailles pour le palais des Tuileries.
Marie Antoinette utilisée par la publicité...
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Louis XVI et Marie-Antoinette auraient pu se résoudre à demander de l’aide à des souverains étrangers, le roi d’Espagne Charles IV et Joseph II, frère de la reine. Mais le roi d’Espagne répond évasivement et, le , Joseph II meurt. Des doutes et des controverses entre historiens subsistent sur ce possible appel à l’étranger. Selon Thomas E. Kaiser, si Marie-Antoinette ne semble pas encore à ce stade souhaiter une intervention militaire étrangère, elle propose à partir de juin 1790 que la Prusse et l'Autriche s'associent pour faire pression sur le gouvernement révolutionnaire afin d'obtenir des réformes plus favorables au pouvoir royal. La Fayette suggère froidement à la reine le divorce. D’autres parlent à mots à peine couverts d’un procès en adultère, et de prendre la reine en flagrant délit avec le comte de Fersen.
Il est à noter que durant cette période, la famille royale est assignée à résidence et ne peut quitter son palais : il lui a notamment été interdit de quitter les Tuileries pour aller fêter Pâques à Saint-Cloud.
Breteuil propose alors, fin 1790, un plan d’évasion. L’idée est de quitter les Tuileries et de gagner la place-forte de Montmédy, proche de la frontière. La reine est de plus en plus seule, surtout depuis qu’en octobre 1790, Mercy-Argenteau a quitté la France pour sa nouvelle ambassade aux Pays-Bas et que Léopold II, le nouvel empereur, un autre de ses frères, élude ses demandes d’aide, car, monarque philosophe, il pousse au contraire sa sœur à jouer le jeu de la nouvelle Constitution. Le 7 mars, une lettre de Mercy-Argenteau à la reine est interceptée et portée devant la Commune. C’est le scandale, une preuve, pense-t-on, de l’existence du comité autrichien, des tractations de la reine pour vendre la patrie à l’Autriche.
Le débute la tentative d’évasion, stoppée le lendemain par l’arrestation à Varennes-en-Argonne. L'empereur d'Autriche Léopold soutient la tentative de fuite, ignorant son échec prématuré, en adressant à Marie-Antoinette une lettre l'assurant que des troupes seront mises à sa disposition pour rétablir le pouvoir du roi et affirmant que « Tout ce qui est à moi est à vous : argent, troupes, enfin tout ! ».
Interrogé à Paris par une délégation de l’Assemblée constituante, Louis XVI répond évasivement. Ces réponses, rendues publiques, suscitent le scandale, et certains révolutionnaires réclament la déchéance du roi. Marie-Antoinette, elle, correspond secrètement avec Barnave, Duport et Lameth qui veulent convaincre le roi d’accepter son rôle de monarque constitutionnel. Mais elle joue là un double jeu, car elle espère seulement « les endormir et [...] leur donner confiance [...] pour les mieux déjouer après » (lettre de la Reine à Mercy). Elle écrit même à Fersen ces mots : « Quel bonheur si je puis un jour redevenir assez puissante pour prouver à tous ces gueux que je n’étais pas leur dupe ». D’après Jean-Clément Martin, elle cherche via cette correspondance avec Fersen à favoriser une intervention étrangère qui permettrait à son époux de retrouver ses prérogatives royales et prévoit même un remboursement des frais de guerre aux souverains étrangers. Le 13 septembre, Louis XVI accepte la Constitution. Le 30, l’Assemblée constituante se dissout et est remplacée par l’Assemblée législative, cependant que des bruits de guerre avec les monarchies alentour, au premier rang desquelles l’Autriche, se font plus pressants. Le peuple est alors remonté contre Marie-Antoinette, toujours appelée « l’Autrichienne ». Les pamphlets et journaux révolutionnaires la traitent de « monstre femelle » ou encore de « Madame Veto », et on l’accuse de vouloir faire baigner la capitale dans le sang. Le , la France déclare la guerre à l'Autriche et elle subit dans un premier temps de sérieux revers. Pour Thomas E. Kaiser, le contenu de la correspondance secrète de Marie-Antoinette révèle qu'elle aurait contribué à ces défaites en livrant aux puissances coalisées des renseignements militaires sur les plans d'attaque français. Le , le manifeste de Brunswick, largement inspiré par Fersen, achève d’enflammer une partie de la population.
Le 10 août, les Tuileries sont prises d’assaut, les gardes suisses massacrés. Le roi et sa famille se réfugient à l’Assemblée, qui vote la suspension provisoire du roi et leur internement au couvent des Feuillants. Le lendemain, la famille royale est finalement transférée à la prison du Temple. Pendant les massacres de septembre, la princesse de Lamballe, proche amie de la reine et victime symbolique, est sauvagement assassinée, démembrée, mutilée, déchiquetée et sa tête est brandie au bout d’une pique devant les fenêtres de Marie-Antoinette pendant que divers morceaux de son corps sont brandis en trophée dans Paris. Les auteurs du meurtre veulent « monter dans la tour et obliger la reine à embrasser la tête de sa grue ». Ils veulent lui montrer la tête et le corps nu et profané de la princesse sur lequel, ils en sont convaincus, la reine se serait si longtemps livrée à ses penchants saphiques. Peu après, la Convention vote l'abolition de la monarchie et l'instauration de la Première République, et déclare la famille royale otage. Début décembre, a lieu la découverte officielle de l’« armoire de fer » dans laquelle Louis XVI cachait ses papiers secrets et dont l’existence est aujourd’hui sujette à débats. Le procès est désormais inévitable. Le 11 décembre, Louis XVI est séparé de sa famille pour être emmené dans un autre logement de la prison du Temple.
Le , la Convention vote la mort avec une majorité étroite, avec le soutien du duc d'Orléans, cousin du roi déchu, connu alors sous le nom de Philippe Égalité. Louis XVI est exécuté le . Le 27 mars, Robespierre évoque le sort de l'ancienne reine pour la première fois devant la Convention. Le 13 juillet, Louis-Charles est enlevé à sa mère et confié au savetier Simon. Le 2 août, c’est Marie-Antoinette qui est séparée des anciennes princesses, sa fille Madame Royale et sa belle-sœur madame Élisabeth, et est conduite à la Conciergerie. Durant son séjour dans sa prison, Marie-Antoinette, atteinte de saignements, aurait développé un cancer de l'utérus, un cancer cervical, un fibrome ou aurait été affectée d'une ménopause précoce : Robespierre inquiet la fait suivre par son propre médecin Joseph Souberbielle qui constate des métrorragies récurrentes. Aussi Robespierre fait-il accélérer la procédure judiciaire. Lors du transfert, alors qu’elle s’est violemment cogné la tête, elle répond à ses geôliers, qui s’en inquiètent, son fameux « Rien à présent ne peut plus me faire de mal ». Son interrogatoire commence le lendemain.
Le , Marie-Antoinette comparaît devant le Tribunal révolutionnaire, mené par l’accusateur public Fouquier-Tinville. Si le procès de Louis XVI devant la Convention avait conservé quelques formes de procès équitable, ce n’est pas le cas de celui de la reine déchue. Le dossier est monté très rapidement, il est incomplet, Fouquier-Tinville n’ayant pas réussi à retrouver toutes les pièces de celui de Louis XVI. Pour charger l’accusation, il parle de faire témoigner le dauphin contre sa mère qui est alors accusée d’inceste par Jacques-René Hébert. Il déclare que l'ancienne reine de France et Mme Élisabeth ont eu des attouchements sur le jeune Louis XVII. Marie-Antoinette ne répond rien et un juré en fait la remarque. Marie-Antoinette se lève et répond « Si je n’ai pas répondu c’est que la nature elle-même refuse de répondre à une telle accusation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici ! ». Pour la dernière fois, la foule (et surtout les femmes) applaudit la reine déchue. Une fois la séance terminée, celle-ci demande à son avocat « N’ai je pas mis trop de dignité dans ma réponse ? ». Selon Gaspard Louis Lafont d'Aussonne dans ses mémoires publiés en 1824, des personnes dans la foule dirent le matin du jugement « Marie-Antoinette s'en retirera : elle a répondu comme un ange, on ne fera que la déporter ».
On l’accuse également d’entente avec les puissances étrangères. Comme l'ancienne reine nie, Herman, président du Tribunal, l’accuse d’être « l’instigatrice principale de la trahison de Louis Capet » : c’est donc bien un procès pour haute trahison. Le préambule de l’acte d’accusation déclare également : « Examen fait de toutes les pièces transmises par l’accusateur public, il en résulte qu’à l’instar des Messaline, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français. » Il ajoute « la cause des troubles qui agitent depuis quatre ans la nation et ont fait tant de malheureuses victimes. »
Les dépositions des témoins à charge s’avèrent bien peu convaincantes. Marie-Antoinette répond qu’elle n’était « que la femme de Louis XVI, et qu’il fallait bien qu’elle se conform[ât] à ses volontés ». Fouquier-Tinville réclame la mort et fait de l’accusée « l’ennemie déclarée de la nation française ». Les deux avocats de Marie-Antoinette, Tronçon-Ducoudray et Chauveau-Lagarde, prévenus au dernier moment et n’ayant ainsi pas eu le temps de prendre pleine connaissance du dossier, ne peuvent que lire à haute voix les quelques notes qu’ils ont eu le temps de prendre.
Procès de Marie-Antoinette le 15 octobre 1793, dessin de Pierre Bouillon, pierre noire, Paris, musée Carnavalet, 1793. Hébert est représenté assis au premier plan, devant l'accusateur public Fouquier-Tinville.
Quatre questions sont posées au jury :
« 1. Est-il constant qu’il ait existé des manœuvres et des intelligences avec les puissances étrangères et autres ennemis extérieurs de la République, lesdites manœuvres et des intelligences tendant à leur fournir des secours en argent, à leur donner l’entrée du territoire français et à leur faciliter le progrès de leurs armes ?
2. Marie-Antoinette d’Autriche (…) est-elle convaincue d’avoir coopéré à ces manœuvres et d’avoir entretenu ces intelligences ?
3. Est-il constant qu’il ait existé un complot et une conspiration tendant à allumer la guerre civile à l’intérieur de la République ?
4. Marie-Antoinette est-elle convaincue d’avoir participé à ce complot et à cette conspiration ? »
Aux quatre questions, le jury répond « oui ». Lorsque le jury rend son verdict, il n’existe aucune preuve de l’accusation de haute trahison que l’on impute à la reine déchue. Le dossier est vide de toute pièce.
Techniquement, au vu des pièces du procès, la condamnation n’est pas basée sur des faits avérés. On apprit plus tard que l'ancienne reine entretenait une correspondance avec le comte Hans Axel de Fersen où il apparaît que l'Autriche et les monarchies d'Europe se préparaient à la guerre contre la France, ainsi lit-on dans une lettre du adressée au comte que l'ancienne reine écrivait : « Les ministres et les jacobins font déclarer demain au roi la guerre à la maison d'Autriche, sous prétexte que par ses traités de l'année dernière elle a manqué à celui d'alliance de cinquante-six, et qu'elle n'a pas répondu catégoriquement à la dernière dépêche. Les ministres espèrent que cette démarche fera peur et qu'on négociera dans trois semaines. Dieu veuille que cela ne soit point et qu'enfin on se venge de tous les outrages qu'on reçoit dans ce pays-ci! »
La reine déchue, captive, n'était pour autant personnellement pas en mesure d'organiser ou d'ordonner directement quelque directive militaire que ce fût. Sa correspondance avec le comte de Fersen indique néanmoins qu'elle y incite par divers courriers.
En réalité, il fallait condamner la « veuve Capet ». Robespierre a donc intégré au jury le médecin qui soignait la reine à la Conciergerie, Joseph Souberbielle, lequel a indiqué aux autres jurés que de toute façon Marie-Antoinette était médicalement condamnée à brève échéance, car elle avait de forts épanchements sanguins.
La condamnation à mort, pour haute trahison, est prononcée le vers 4 heures du matin.
À l'annonce de la sentence, Marie-Antoinette rédige une dernière lettre à l'attention de Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI.
Cette lettre, qui n'est jamais parvenue à sa destinataire, a été conservée par Robespierre, puis récupérée par le conventionnel Courtois, avant d'être saisie par Louis XVIII. Elle est aujourd'hui conservée dans « l'armoire de fer » des Archives nationales (cote AE/II/1384) et un fac-similé est exposé au Musée des Archives nationales.
Cette lettre, à usage privé, ne contient aucun message d'ordre politique. Marie-Antoinette l'a rédigée dans son cachot de la Conciergerie juste après l'annonce de sa condamnation. L'en-tête porte la mention « Ce 16 octobre, 4 heures 1/2 du matin. » Elle n'est pas signée et ne mentionne aucun nom propre même pas celui de sa destinataire la sœur de Louis XVI, qui partage la captivité des enfants royaux au Temple :
« C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois ; je viens d'être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l'est quand la conscience ne reproche rien ; j'ai un profond regret d'abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n'existais que pour eux, et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J'ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n'ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre, je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra, recevez pour eux deux ici ma bénédiction. J'espère qu'un jour, lorsqu'ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. »
Malgré son exécution très proche et son isolement, Marie-Antoinette récuse d'avance toute assistance d'un prêtre assermenté qui aurait prêté le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé condamnée par Rome :
« Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle où j'ai été élevée, et que j'ai toujours professée, n'ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s'il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s'ils y entraient une fois. Adieu, adieu ! Je ne vais plus m'occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m'amènera peut-être un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger. »
Celle qui vient de vivre seule une captivité de deux mois et demi, sans pouvoir communiquer avec ses enfants, tente de leur faire passer ses dernières recommandations. Sa préoccupation essentielle concerne l'état d'esprit dans lequel ses enfants assumeront la mort de leurs parents, dans leur vie à venir dont elle ne veut pas douter, alors que le dauphin mourra en captivité. Sans un mot de plainte ni de regret, Marie-Antoinette ne songe plus qu'à laisser un héritage spirituel à ses enfants :
« Qu'ils pensent tous deux à ce que je n'ai cessé de leur inspirer : que les principes et l'exécution de leurs devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuel en fera le bonheur ; […] qu'ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union, qu'ils prennent exemple de nous : combien dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille. »
Elle donne un dernier conseil : « Que mon fils n'oublie jamais les derniers mots de son père que je lui répète expressément, qu'il ne cherche jamais à venger notre mort. ».
Plus loin, elle écrit : « Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et (mots rayés) et à tous mes frères et sœurs. » Resteront sans doute de cette lettre retrouvée en 1816 ces mots : « Mon Dieu ayez pitié de moi ! Mes yeux n'ont plus de larmes pour pleurer pour vous mes pauvres enfants. Adieu, Adieu ! »
Marie-Antoinette quitte la Conciergerie pour être conduite au lieu de son supplice. Huile sur toile de William Hamilton (1751-1801), musée de la Révolution française, 1794.
Marie-Antoinette est exécutée le même jour à midi et quart. Le matin du 16 octobre, Marie-Antoinette est menée, mains entravées et sur une charrette — alors que Louis XVI avait eu droit à un carrosse —, de la Conciergerie, jusqu'à la place de la Révolution (ancienne place Louis-XV, actuelle place de la Concorde). D'après certains historiens, elle subit avec dignité les sarcasmes et les insultes lancés par la foule massée sur son passage (elle mettra une heure pour traverser la place et monter à l'échafaud). Le peintre et révolutionnaire Jacques-Louis David, observant le cortège depuis la rue Saint-Honoré, en dessine un croquis resté légendaire. Selon ces mêmes historiens, c'est avec courage qu'elle monte à l'échafaud. En marchant sur le pied du bourreau Sanson, elle lui aurait demandé pardon. Ce seront ses dernières paroles.
Selon une légende, ses cheveux auraient entièrement blanchi (phénomène connu sous le nom de « syndrome de Marie-Antoinette ») les jours suivant son retour de Varennes.
Le jour de son exécution, la reine déchue aurait trébuché et perdu un escarpin, récupéré par un fidèle et conservé actuellement au musée des beaux-arts de Caen. Cette chaussure a fait l'objet d'une exposition en 1989.
Tout comme pour Louis XVI, il fut ordonné que les bières des membres de la monarchie fussent recouvertes de chaux. Marie-Antoinette est inhumée avec la tête entre les jambes dans la fosse commune de la Madeleine, rue d’Anjou-Saint-Honoré (Louis XVIII fera élever à cet endroit la chapelle expiatoire située de nos jours sur le square Louis-XVI, seul endroit de Paris portant encore le nom du roi). Ses restes et ceux de Louis XVI furent exhumés le et transportés le 21 en la basilique de Saint-Denis.
« Le premier crime de la Révolution fut la mort du Roi, mais le plus affreux fut la mort de la Reine » dit Chateaubriand.
Le comte de Mollien relate les propos de Napoléon sur l'exécution de la reine déchue (tiré des Mémoires d'un Ministre du trésor public 1780-1815) :
« Si ce n'est pas un sujet de remords, ce doit être au moins un bien grand sujet de regret pour tous les cœurs français que le crime commis dans la personne de cette malheureuse reine. Il y a une grande différence entre cette mort et celle de Louis XVI, quoique, certes, il ne méritât pas son malheur. Telle est la condition des rois, leur vie appartient à tout le monde ; il n'y a qu'eux seuls qui ne peuvent pas en disposer ; un assassinat, une conspiration, un coup de canon, ce sont là leurs chances ; César et Henry IV ont été assassinés, l'Alexandre des Grecs l'eût été s'il eût vécu plus longtemps. Mais une femme qui n'avait rien que des honneurs sans pouvoir, une princesse étrangère, le plus sacré des otages, la trainer d'un trône à l'échafaud à travers tous les genres d'outrages! Il y a là quelque chose de pis encore que le régicide ! »
Marie-Antoinette sortant de la Conciergerie, le 16 octobre 1793. Huile sur toile de Georges Cain, Paris, musée Carnavalet, 1885.
Exécution de Marie-Antoinette à la Place de la Révolution, le 16 octobre 1793. (Anonyme. Musée Carnavalet).
Descendance :
Huit ans et demi après son mariage, Marie-Antoinette accouche de son premier enfant, trois autres suivront cependant. Marie-Antoinette n'a pas de descendants vivant de nos jours. Sa fille Marie-Thérèse, seule de ses enfants à être devenue adulte, n'aura jamais d'enfants.
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Marie-Thérèse (1778-1851), dite « Madame Royale » ;
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Louis-Joseph (1781-1789), Dauphin ;
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Louis Charles (1785-1795), duc de Normandie (1785) puis Dauphin (1789) puis prince royal (1790-1792) puis « roi » sous le nom de « Louis XVII » (1793-1795) ;
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Sophie de France (1786-1787), morte à 11 mois.