27 janvier 2024
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Pour ceux qui me suivent, vous allez peut être me dire assez !.
Mais, aujourd'hui, je vais quand même vous parler d'Armand Tuffin, marquis de la Rouërie, un autre cousin qui lui aussi participa, avant Lafayette à la guerre d'indépendance américaine et aussi à la chouannerie en Bretagne...
La Rouërie (Armand-Tuffin, marquis de). Conspirateur, organisateur de la Chouannerie, né à Fougères le 13 avril 1750 au château de la Rouërie. Entré tout jeune dans les Gardes Françaises, en était officier à 22 ans. Ses nombreuses aventures l'obligèrent à démissionner. Il se fit trappiste, mais, sans vocation, dut s'enfuir. Il partit avec Rochambeau en Amérique, s'y conduisit vaillamment et se distingua sous le nom de colonel Armand. Revenu en France en 1783, il se trouva mêlé à l'émeute de Rennes en 1788. En 1787, il prépare une conjuration royaliste dans l'Ouest, en obtient la direction. Il recrute des partisans et en réunit les chefs à son château de la Rouërie. Il fonde l'Association Bretonne en 1791, qui reçoit le soutien de la noblesse locale et du clergé. Trahi par le Docteur Chévrelet, dont il avait fait son ami et confident, il dut abandonner son château, se cacher dans les bois et chez des amis. Il trouva son dernier asile au château de la Guyomarais, près de Lamballe, y tomba gravement malade et y mourut durant le 30 janvier 1793.
Portrait d'Armand Tuffin de La Rouërie, par Charles Willson Peale.
C'est par la généalogie de la mère d'Armand Tuffin de La Rouërie :
Thérèse de La Belinaye puis celle des de Quelen que nous pouvons établir ce cousinage.
I - ORIGINES - JEUNESSE - CAMPAGNE D'AMERIQUE
Lorsqu'il vint s'établir définitivement sur ses terres de la Rouërie, près Fougères, le colonel Armand — ainsi que lui-même se surnommait — y était précédé par la renommée de ses brillants faits d'armes, comme aussi par les éclats d'une jeunesse tapageuse.
Né le 13 avril 1750, au château de la Rouërie, Charles-Armand Tuffin de la Rouërie était fils de messire Anne-Joseph-Jacques Tuffin, chevalier, comte de la Rouërie, et de dame Thérèse de la Belinaye.
A dix-sept ans, enseigne aux gardes-françaises, placé à Paris, sous l'égide de son oncle Charles de la Belinaye, qui n'était pas un mentor fort sérieux, Armand de la Rouërie débuta par vouloir épouser une actrice de l'Opéra, Mlle Beaumesnil, qui, plus sensée que lui, lui démontra la folie d'un tel projet. Le jeune homme, de désespoir, courut s'enfermer à la Trappe, avec l'intention bien arrêtée d'y finir ses jours. Il n'y demeura pas une semaine et reprit, aussitôt à Paris, sa vie de dissipation.
Il dansa en public un pas de ballet, sur la scène de l'Opéra, eut des querelles, des duels, fit des dettes, apprit à manier le peigne et le fer à papillotes, à composer d'élégants bouquets selon les règles de l'art, et, fort de ces talents et de ses extraordinaires antécédents, n'hésita point à demander au comte de Ranconnet de Noyan, son voisin, la main d'une de ses filles.
Personne ne s'étonnera d'apprendre qu'il fut repoussé.
A quelque temps de là, à la suite d'une querelle avec le comte de Bourbon-Busset, cousin du roi, touchant le degré de cuisson d'un poulet, un duel fut décidé ; La Rouërie blessa son adversaire qui passa pour mort pendant dix jours ; le roi, instruit du fait, se fâcha, menaça de faire pendre La Rouërie qui décida d'en finir avec la vie. Pour échapper à la corde, il prit de l'opium ; mais on le sauva et il s'enfuit à Genève.
De là, il adressa sa démission de lieutenant aux gardes-françaises, compagnie de Radepont ; après quoi, ayant fait ses adieux à sa mère, il partit brusquement pour l'Amérique, cédant, lui aussi, à cette fièvre contagieuse et soudaine de liberté qui gagna tant de gentilshommes. Il emmenait trois domestiques et laissait en France un fils auquel il avait donné son nom.
La traversée dura deux mois. Au moment d'aborder, le navire qui portait Armand de la Rouërie fut attaqué par une frégate anglaise ; La Rouërie gagna le rivage à la nage, complètement nu, avec ses trois domestiques aussi peu vêtus que lui-même.
C'était à la fin d'avril 1777, avant l'arrivée de La Fayette.
La Rouërie acheta moyennant 2400 livres, d'un major suisse, le commandement d'une légion franche et se trouva prêt pour le début de la campagne. Sa bonhomie simple, sa gaieté, un courage souvent téméraire, plurent aux Américains, d'abord défiants, et le nom du « colonel Armand » devint en peu de temps aussi populaire que celui de La Fayette ; de sorte que le marquis de Chastelux pouvait noter, en 1780 : « Le colonel Armand est célèbre en Amérique par son courage et sa capacité ».
Sa légion fut détruite à la bataille de Cambden, en Caroline. La première campagne finie, il passa en France, chargé par le Congrès des Provinces-Unies d'y chercher des « secours d'habits et d'armes », et désireux de réorganiser sa troupe. Pour faire face aux dépenses, il contracta en son nom un emprunt de 50 000 livres à 5 % d'intérêt, somme dont il fit l'avance au Congrès.
Pendant ce voyage, il obtint la croix de Saint-Louis le 15 mai 1781.
De retour en Amérique, il prit part au siège d'York, monta l'un des premiers à l'assaut, et Washington, pour reconnaître sa valeur, l'autorisa à lever 50 hommes, entre les meilleurs de l'armée, afin de renforcer sa compagnie. Partout il fit preuve de la même bravoure : c'était peut-être, à son gré, un moyen de racheter ses folies passées. Deux lettres conservées aux archives du ministère de la Guerre, l'une de La Fayette, du 26 novembre 1778, l'autre du général Washington, du 16 février 1780, s'accordent à louer « son mérite distingué, son grand zèle, son activité, son intelligence, sa vigilance et sa bravoure ».
La campagne finie, il demeura en Amérique le dernier, pour faire valoir auprès du Congrès les services de ses compagnons d'armes et rentra en France en 1783, avec 50 000 francs de dettes, la croix de Cincinnatus et un ami, le major Chafner, qui ne devait plus le quitter.
Fut-ce le souvenir de son passé bruyant ou le ton un peu trop cavalier qu'il mit dans sa demande de service qui l'empêchèrent d'obtenir le commandement qu'il sollicita à son retour? Toujours est-il que sa requête resta sans effet. Il retourna en Bretagne, contraint, à trente-trois ans, de vivre oisif dans son hôtel de Fougères ou son château de la Rouërie. Sa fortune était, en outre, assez embarrassée : elle comprenait un passif de 65 000 francs.
I- MARIAGE - LE Dr CHEVETEL
Armand de la Rouërie songea de nouveau au mariage. La fille ainée du comte de Noyan, dont il avait naguère sollicité la main, avait épousé le comte de Kersalaün. Ce fut vers Mlle de Saint-Brice (Note : Louise Charlotte Guérin marquise de Saint-Brice, fille d'Anne Gilles Jacques Guérin marquis de Saint-Brice, sire du Champinel chevalier de Saint-Louis, seigneur de Saint-Etienne, Parigné, le Sollier et du Rocher Sénéchal, capitaine de cavalerie au régiment de Conty, et de Jacquette Le Prestre Hyacinthe de Châteaugiron, marquise de Saint-Brice), l'une des plus belles et des plus riches héritières de Bretagne, qu'il tourna ses vues.
La mère du marquis de la Rouërie, son ami Chafner, sa cousine Thérèse de Moëlien de Trojoliff, signèrent au contrat stipulant le régime de la communauté, selon la coutume bretonne, à l'exclusion toutefois des dettes contractées par les futurs avant le mariage, des successions à venir et de 24 000 livres de mobilier provenant à la future épouse de la succession paternelle.
Le mariage eut lieu au château de Saint-Brice, le 22 décembre 1785.
Après trois mois d'union, la jeune marquise de la Rouërie tomba malade de langueur. Son mari appela auprès d'elle un jeune médecin de vingt-sept ans, le Dr Chévetel, né à Bazouges-la-Pérouse, le 30 octobre 1758, qui devait jouer, dans la vie du marquis de la Rouërie, un rôle prépondérant.
Valentin-Marie-Magloire Chévetel était fils d'un honorable médecin de Bazouges, qui donna ses soins à Chateaubriand enfant. Il était de tournure agréable, de manières élégantes, d'esprit distingué, et plut tout de suite au marquis de la Rouërie, qui l'admit dans son intimité presque sur le même pied que le major Chafner. Le médecin ayant ordonné à sa malade les eaux de Cauterets, La Rouërie le pria d'être du voyage, ce à quoi il consentit.
Le séjour des Pyrénées ne soulagea point la marquise : elle mourut au bout de quelques semaines, le 18 juillet 1786, après six mois de mariage. Elle fut enterrée à Cauterets.
III- PREMIERE FERMENTATION EN BRETAGNE - LE MARQUIS DE LA ROUËRIE A LA BASTILLE
Le marquis de la Rouërie regagna son château et s'y enferma, menant une existence presque sauvage, parcourant les landes de sa province, chassant, ne voyant « que Chévetel avec lequel il sympathisait chaque jour davantage, et le major Chafner, qui vivait sous son toit, bien décidé à y finir ses jours et à ne jamais revoir l'Amérique ». Il était dans cet état d'esprit, tout à son chagrin, quand le vote des Edits de mai 1788 vint enflammer toute la Bretagne.
Le 8 mai, le Parlement avait demandé à Versailles pour y tenir un lit de justice. On lui donna lecture de six édits, rédigés par le ministre Brienne, et contenant de nombreuses réformes judiciaires, dont la principale enlevait aux parlements l'enregistrement des ordonnances et édits, pour la transférer à une cour plénière, composée de la grand'Chambre du Parlement, des princes et des pairs, des grands officiers de la maison du roi et de membres des Parlements de province.
Le premier président d'Aligre protesta, devant le roi, contre ce qu'il appelait « le renversement de la Constitution de l'Etat » ; la grand'Chambre du Parlement refusa de faire partie de la cour plénière ; la majorité des pairs soutint le Parlement, et les membres des Parlements de province firent de même.
Les Etats de Bretagne protestèrent au nom du contrat qui, depuis le mariage de Louis XII et de la duchesse Anne, unissait leur duché à la monarchie. Le Parlement de Rennes s'assembla, malgré la défense du roi. On fit marcher des troupes pour le disperser. La noblesse et le peuple accoururent en armes au secours du Parlement.
La modération du commandant militaire empêcha la guerre civile ; mais l'intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville, menacé d'être pendu par le peuple, dut prendre la fuite.
Cette querelle avait réveillé l'ardeur du marquis de la Rouërie. Il était arrivé à Rennes des premiers pour protester contre l'édit de cour plénière et fut choisi avec onze autres gentilshommes pour porter au roi les remontrances de la noblesse et réclamer le maintien de la vieille Constitution bretonne.
Les députés arrivèrent à Paris le 5 juillet 1788 ; ils se présentèrent à Versailles, ne furent point reçus, regagnèrent Paris pour y attendre « le bon plaisir de Sa Majesté », et trouvèrent, le 14 juillet, en rentrant chez eux, après un repas offert à leurs compatriotes, un exempt de la police, porteur de lettres de cachet, qui les invita à se rendre à la Bastille.
S'il faut en croire les documents qui nous sont parvenus, la fameuse prison d'Etat n'était point aussi terrible qu'on a bien voulu le dire. D'ailleurs, en pareille matière, il faut toujours compter avec la mauvaise foi des partis, avec l'imagination populaire qui, au gré de ses passions, embellit ou enlaidit les choses, comme à plaisir. Nous voyons en effet que « MM. les gentilshommes bretons » furent servis chacun par un de leurs domestiques ; que 240 bouteilles de vin de Bordeaux pénétrèrent à leur intention dans la forteresse ; qu'on loua, le 21 août, un billard « pour leur amusement ».
Le 25 août, le ministre Brienne rendait au roi son portefeuille ; les Parlements triomphaient et MM. les gentilshommes bretons étaient libres.
Le retour du marquis de la Rouërie à Fougères fut accueilli avec enthousiasme : on illumina la ville, on tira un feu d'artifice qui causa l'incendie de quatre maisons ; enfin, le colonel Armand devint le personnage le plus populaire de toute la Bretagne.
Pour donner matière à son activité, le marquis fit démolir son château de fond en comble ne conservant que l'ancienne chapelle — et le reconstruisit ; puis il laissa bientôt les travaux sous la surveillance de son ami Chafner, pour faire de fréquents voyages à Paris, où Chévetel s'était établi après avoir obtenu, grâce au crédit du marquis, une place de médecin dans la maison du comte de Provence.
La politique vint bientôt donner à La Rouërie d'autres soucis. On était en 1789 ; l'assemblée des Etats généraux était fixée au début de mai. Dans toutes les provinces, les trois Ordres s'occupaient à élire leurs députés ; mais la noblesse bretonne s'entêtait à ne point vouloir se faire représenter.
Au cours des réunions préparatoires, le marquis s'efforça de démontrer à ses pairs combien cette manoeuvre, qui donnait d'autant plus de puissance au tiers-état, était malhabile. Peut-être espérait-il qu'on l'enverrait siéger à l'assemblée? En tous cas, il ne réussit pas à les convaincre et fut réduit à assister en simple spectateur aux premiers événements de la Révolution, entre son fidèle Chafner et sa cousine Thérèse de Moëlien, fille d'un conseiller au Parlement de Bretagne, qui ne s'était point mariée, faute de dot, et qu'il avait recueillie dans son château.
IV- LA CONJURATION BRETONNE VOYAGE A COBLENTZ ET A PARIS
Le marquis de la Rouërie n'était pas homme à demeurer longtemps inactif. Très attaché à la monarchie, il conçut le projet de lutter contre la Révolution ; mais par quel moyen? L'émigration lui répugnait ; il pensait que sa présence, comme celle de la noblesse, était nécessaire dans sa province pour y maintenir, y encourager les idées favorables à l'ancien état de choses. Aussi la pensée lui vint-elle de former, entre les gentilshommes qui n'avaient point consenti à se faire représenter à l'Assemblée nationale, une association dont le but secret serait de provoquer un soulèvement royaliste.
Il fit part de son dessein au comte de Noyan, alors âgé d'une soixantaine d'années, le même qui, quelques années auparavant, lui avait refusé la main de sa fille, ce dont La Rouërie ne lui gardait nullement rancune. Le comte approuva le projet, donna l'appui de son nom et de sa situation, mais posa comme condition que ses habitudes n'en seraient en rien troublées. Son âge était une excuse, et le marquis de la Rouërie se trouvait beaucoup mieux désigné que lui pour prendre la tête de la conjuration. Il importait seulement que les pouvoirs du chef, pour obtenir plus de poids, fussent approuvés, sinon par Louis XVI, qui n'était déjà plus libre de ses actes, du moins par le comte d'Artois, émigré depuis 1789, et que les royalistes considéraient comme le plus sûr champion de la monarchie (Note : Le comte de Provence, frère aîné du comte d'Artois, n'avait pas encore quitté Paris. Il ne partit que le 20 juin 1791 se rendant à Mons, pendant que le roi se dirigeait sur Montmédy).
Le marquis partit donc pour Coblentz, dans les premiers jours de mai 1791, muni d'un passeport pour Londres, sous prétexte d'intérêts à débattre dans cette ville. Il emmenait sa cousine Thérèse de Moëlien, deux valets de chambre, Saint-Pierre et Bossart, et son barbier Guillon. Ils s'embarquèrent à Saint-Malo, touchèrent l'Angleterre et gagnèrent l'Allemagne par Ostende.
La Rouërie fut bien accueilli ; les gentilshommes bretons lui firent fête, mais le comte d'Artois n'était pas à Coblentz. Le marquis dut aller le joindre à Ulm, où il arriva au commencement de juin. Le prince l'écouta, l'approuva et le renvoya à l'ancien ministre Calonne, non sans lui avoir remis, toutefois, sur son insistance, un pouvoir dans lequel il acquiesçait au projet d'association, en promettant, au nom du roi, de récompenser ceux qui se dépenseraient pour la cause royale.
La Rouërie retourna à Coblentz et vit Calonne. Celui-ci donna son approbation, comme avait fait le comte d'Artois, et engagea le marquis à choisir un homme sûr qui pût servir de courrier entre Coblentz et la Bretagne. Armand de la Rouërie ne fut pas embarrassé il désigna aussitôt pour cette fonction Georges de Fontevieux, qui avait servi sous ses ordres en Amérique et qu'il venait de rencontrer dans les rues de Coblentz. Il fut convenu que Fontevieux demeurerait à Coblentz jusqu'à nouvel ordre, et la Rouërie reprit, avec sa cousine et ses trois domestiques, le chemin de ses pénates, en négligeant, cette fois, la route maritime.
Ils traversèrent la Lorraine, les hommes vêtus en marchands, Mlle de Moëlien en amazone, portant, cousus dans sa ceinture, les pouvoirs du comte d'Artois. Ils apprirent, pendant leur voyage, l'arrestation du roi à Varennes, et arrivèrent à Paris au moment même où la foule y ramenait la famille royale.
Pendant les quelques jours qu'il passa à Paris, le marquis alla visiter son ami, le Dr Chévetel.
Or, le séjour à Paris avait singulièrement modifié les idées de Chévetel. Le hasard avait voulu qu'il logeât rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés (aujourd'hui de l'Ancienne-Comédie), hôtel de la Fautrière, auprès d'un certain Dr. Marat, médecin des gardes du corps du comte d'Artois, qui devait jouer un rôle capital, et non loin d'un nommé Danton, avocat au Conseil du roi, du journaliste Camille Desmoulins, du comédien Fabre d'Eglantine et du boucher Legendre. Cette compagnie avait fait du Dr Chévetel, naguère royaliste, un disciple fervent de la Révolution, et cela d'autant plus aisément que Chévetel, naturellement ambitieux, ne demandait qu'à s'orienter du côté où le vent lui semblait le plus favorable à sa fortune.
Il vivait, à l'hôtel de la Fautrière, avec Mlle Fleury, une actrice de la Comédie-Française, et tous deux avaient donné des gages au nouveau parti en aidant Marat à se soustraire par la fuite aux poursuites exercées contre lui par le Châtelet, au commencement de 1790.
Bien entendu, le docteur se garda bien de mettre le marquis de la Rouërie au courant de ses opinions nouvelles et de ses hauts faits, et celui-ci, n'ayant aucune raison pour soupçonner un tel changement, ni pour se méfier de son ancien ami, n'hésita pas une seconde à lui confier son projet, son voyage à Coblentz et sa démarche auprès du comte d'Artois, sans en omettre aucun détail.
V- L'ASSOCIATION S'ORGANISE
La Bretagne, au retour du marquis de la Rouërie, était mûre pour une contre-révolution. Les esprits étaient exaspérés contre la tyrannie religieuse exercée par l'Assemblée nationale. Partout, les prêtres jureurs, ceux qui avaient consenti à prêter le serment à la constitution civile du clergé, étaient repoussés lorsqu'ils venaient prendre, en intrus, la place des prêtres insermentés. Ce fut là, sans doute, l'origine de ce formidable soulèvement dont on a vainement cherché les causes ailleurs et notamment dans la levée de 300 000 hommes ordonnée par la Convention. Cette levée d'hommes, coïncidant avec la mort du roi, ne fut qu'un prétexte, l'événement qui mit le feu aux poudres ; mais le mouvement remontait plus haut, puisque, dès la fin de juin 1791, le marquis de la Rouërie organisait avec ardeur l'insurrection.
Un manifeste secret, du 5 décembre 1791, posait les bases de l'association bretonne : chaque ville d'évêché devait désigner six commissaires et un secrétaire choisis indifféremment parmi la noblesse, le clergé ou la bourgeoisie. Il en était de même pour les villes d'arrondissement et pour les cantons. La plus grande égalité devait régner entre les membres des différents Conseils, lesquels avaient pour fonction de recevoir et de transmettre les ordres du marquis de la Rouërie, chef de l'association, et de recruter des hommes et de l'argent.
Dès qu'il eut fait connaître ses intentions, la Rouërie vit se grouper autour de lui toute la jeunesse de Bretagne, et jusqu'à des enfants, comme Aimé du Bois-Guy, président de la division de Fougères, qui n'avait pas seize ans. Des premiers accoururent : Gervais Tuffin de la Rouërie, cousin du marquis ; le chevalier de Tinténiac, M. de la Motte de la Guyomarais, retiré dans son château, aux environs de Lamballe et dont nous retrouverons le nom mêlé à des circonstances particulièrement dramatiques, au cours de ce récit. Enfin, Desilles de Cambernon (Note : A la famille Desilles ou des Illes appartenait le jeune officier du régiment du Roi qui mourut à Nancy en 1790, pour avoir voulu, par un acte héroïque, prévenir l'effusion du sang entre deux corps de troupe prêts à en venir aux mains. Cet acte eut à cette époque un immense retentissement) remplissait les fonctions de trésorier, gardien de fonds assez précaires, malgré l'engagement pris par tous les adhérents de verser à la caisse de l'association une année de leur revenu.
Cette pénurie d'argent était fort gênante pour mener à bien le projet d'insurrection; aussi la Rouërie dépêcha-t-il, en septembre 1791, son cousin, Gervais Tuffin, à Coblentz, avec mission d'obtenir de Calonne quelques subsides.
Calonne accueillit l'ambassadeur, le combla de bonnes paroles, lui remit même une lettre autographe du comte de Provence, « joignant son approbation à celle du comte d'Artois » ; enfin, Gervais Tuffin put obtenir 15 000 livres en bons de la Caisse d'escompte, qui perdaient alors au change près de la moitié de leur valeur.
Tuffin comprit qu'il lui serait impossible, en Bretagne, de tirer aucun parti de ce papier ; il se rendit donc à Paris, en quête d'un escompteur complaisant, et, comme il ne connaissait personne dans la ville, l'idée lui vint de s'adresser à l'ami Chévetel.
Chévetel s'exécuta d'excellente grâce, rendit le service qu'on lui demandait, fit causer Tuffin qui, le voyant au courant de bien des choses, n'hésita pas à lui fournir les plus minutieux détails sur les démarches qu'il venait de faire.
Les billets donnèrent, au change, environ 10 000 livres qui furent vite absorbées par les dépenses de première nécessité ; heureusement, au mois de décembre, Georges de Fontevieux, courrier de l'association, quittait Coblentz, porteur de 40 000 livres, toujours en billets sur la Caisse d'escompte. Lui aussi s'arrêta à Paris et eut recours aux bons offices du Dr Chévetel.
Cependant, une armée considérable se formait. Elle était composée des paysans de Bretagne, avait à sa tête un état-major où figuraient les plus beaux noms de la province. Le marquis de la Rouërie avait transformé son château en quartier général. C'était une véritable forteresse, avec barricades, patrouilles circulant dans les allées du parc, sur les terres voisines. On y faisait faire l'exercice aux recrues.
Calonne avait envoyé d'Ostende 3 000 fusils ; on en avait acheté 3 600 autres en Angleterre, 3 milliers de poudre, 1500 livres de plomb, 4 canons avec leurs affûts.
Au début du printemps de 1792, la Rouërie était prêt à entrer en campagne.
VI. LES MUNICIPALITES S'EMEUVENT - ASSEMBLEE GENERALE DE L'ASSOCIATION
Tous ces préparatifs, les allées et venues d'hommes, de patrouilles, n'avaient pas été sans attirer l'attention. Le maire de Saint-Ouen de la Rouërie, Thomas dit La Lande, était fort embarrassé : son devoir lui commandait de dénoncer les actes du marquis ; mais son administré lui inspirait une telle frayeur, qu'il n'osait point s'y résoudre.
Ils avaient eu déjà maille à partir : en exécution du décret supprimant les armoiries, le maire de Saint-Ouen avait fait détruire dans l'église du village les urnes écussonnées contenant les restes des seigneurs de la Rouërie ; le marquis était entré dans une violente colère, accusant Thomas d'avoir jeté à la voirie le coeur de son père.
Dans ces conditions, Thomas ne savait quel parti prendre, et s'il devait ou non procéder à une visite domiciliaire, comme il en avait, à plusieurs reprises, menacé le châtelain. Il se décida pour un moyen terme, et envoya son beau-frère demander au marquis quel jour il lui plaisait qu'eût lieu cette visite.
Mais La Rouerie avait de bien autres soucis : au moment d'agir, il était pris de scrupule sur l'étendue des pouvoirs que lui avaient conférés les princes. Il envoya donc à Coblentz, en mars 1792, le chevalier du Pontavice, qui revint porteur d'une Commission donnant au marquis de la Rouërie le commandement général de toute la province et ordonnant à tous les fidèles sujets de lui obéir comme au roi lui-même.
Aucun obstacle n'existait plus maintenant ; le plan de campagne consistait, pour l'armée bretonne, à joindre l'armée des princes qui allait entrer en France par Thionville et Verdun pour délivrer le roi. Mais, avant d'entamer les hostilités, il parut nécessaire au marquis de réunir tous les chefs de la conjuration en assemblée générale. Celle-ci eut lieu dans la nuit du dimanche au lundi de Pentecôte, 27 mai 1792, au château de la Rouërie.
VII- PERQUISITIONS
Dès le lendemain, toute la contrée était informée qu'un rassemblement de factieux avait tenu conseil chez le marquis de la Rouërie. Les administrateurs du département mobilisèrent un détachement de dragons, une compagnie de gardes nationaux et deux pièces de campagne, avec ordre de s'assurer de la personne des chefs de ce mouvement suspect.
Les troupes arrivèrent à Antrain le jeudi 31 mai. On délégua aussitôt un lieutenant de gendarmerie avec 20 hommes pour tenter de surprendre le marquis. Le lieutenant revint à 11 heures du soir à Antrain, ramenant « un particulier qu'il avait rencontré sur la route ». C'était Deshayes, secrétaire du marquis. On l'interrogea. Il joua la stupéfaction, déclara que depuis quatre ans qu'il était au service de la Rouërie il n'avait jamais entendu parler de conjuration ; que le marquis s'occupait uniquement à embellir son jardin ; qu'il avait quitté, pour une destination inconnue, son château, en compagnie de plusieurs personnes, dont son fils, son cousin Tuffin, le major Chafner, Mlle de Moëlien et trois domestiques. On n'en put rien tirer de plus.
Le maire Thomas, fier de se sentir soutenu par une force armée, émit l'avis assez vraisemblable que le marquis pouvait fort bien s'être retiré dans un château voisin. En conséquence, pendant que l'un des commissaires allait occuper les avenues de la Rouërie, un autre, avec Thomas, se rendait au château du Rocher-Portail. Une perquisition minutieuse, de la cave au grenier, ne fit rien découvrir, sinon « du crottin frais sur de la paille nouvellement broyée ». Au petit jour, à la maison de la Branche, chez M. du Pontavice, on trouva deux lits « dérangés ». Un domestique avoua que M. du Pontavice avait passé la nuit dans l'un, Mme du Pontavice et sa fille dans l'autre, et que tous trois étaient partis à pied une heure plus tôt : leurs chevaux étaient encore à l'écurie. Enfin, au château de la Ballue, chez M. du Tiercent, une visite méticuleuse ne donna aucun résultat.
Pendant ce temps, au château de la Rouërie, l'autre commissaire remuait les meubles, la terre des massifs, le sol de la cave et découvrait de l'argenterie, un baril de beurre et des bouteilles de vin !. Par contre, un domestique mécontent fournissait de copieux renseignements sur les nombreux rassemblements qui s'étaient tenus au château, ajoutant que tout le monde appelait M. le marquis « mon général ». Au surplus, la perquisition faillit mal tourner pour le maire Thomas : si l'on n'avait trouvé aucune pièce de nature à compromettre le marquis, on en avait découvert, une où Thomas faisait preuve, à l'égard de son suspect administré, d'une complaisance poltronne et coupable ; arrêté, il fut jeté en prison, et ne fut délivré qu'après un assez long délai.
On mutila l'écusson d'argent à la bande de sable chargée de trois croissants d'argent, surmontant la porte du château, et une affiche, apposée dans toute la contrée, ordonna aux autorités compétentes d'arrêter « le sieur Armand Tuffin », dont suivait le signalement.
Malgré des battues, il était impossible de retrouver la trace du marquis.
VIII- VIE ERRANTE - CHEVETEL SE RENSEIGNE
La Rouërie, cependant, n'avait point quitté le pays. Tandis qu'on le cherchait aux environs d'Antrain, il s'était porté à 15 lieues de là, à l'avant-garde de ses positions, au château de Launay-Villiers, où le chevalier de Farcy vivait avec sa soeur et ses nièces.
Il demeura trois mois à Launay-Villiers, recevant la visite des principaux affiliés, préparant toutes choses pour une action prochaine, jalousement gardé par ses hôtes, dont les précautions n'étaient point d'ailleurs inutiles.
Le 24 août, en effet, une visite domiciliaire eut lieu au château de Bois-Blin, où l'on prétendait que des prêtres réfractaires trouvaient refuge. Bois-Blin n'était qu'à une lieue et demie de Launay-Villiers. Dix gendarmes et un lieutenant visitèrent la maison et découvrirent, dans une chambre du premier étage, deux « particuliers » qu'ils arrêtèrent : Gervais Tuffin, cousin du marquis, et le major Chafner. Tous deux affirmèrent qu'ils étaient en visite à Bois-Blin, et, après quelques jours de détention, on leur rendit la liberté sans avoir pu ni relever à leur actif une charge sérieuse, ni apprendre d'eux la retraite du marquis de la Rouërie.
Celui-ci, à Launay-Villiers, entrait en relation avec un faux saulnier, Jean Cottereau, plus tard surnommé Jean Chouan, et qui devait donner son nom à la chouannerie. Cottereau et le marquis se comprirent ; La Rouërie dévoila son plan de campagne, la tactique d'embuscades qu'il voulait employer ; Cottereau l'écoutait religieusement, s'imprégnant de ses paroles. Le soir, il regagnait sa hutte, grisé, la tête en feu, rêvant aventures et combats.
A la même époque, le Dr Chévetel, se souvenant des confidences qu'il avait reçues, voyant la Révolution en voie de triomphe, mais ne sachant encore quel parti prendre, ni de quel côté serait la victoire définitive, résolut de juger par lui-même de l'importance de la conjuration, et, dans ce but, de se rendre en Bretagne. Le marquis ne fit aucune difficulté pour lui accorder une entrevue secrète ni pour lui révéler ses projets. Comment se serait-il méfié de cet ancien ami qui s'était si obligeamment entremis, à deux reprises, pour faire escompter les billets rapportés de Coblentz ? Il ne dissimula rien, lui apprit que du Pontavice était à Paris « en observation », que Fontevieux se trouvait auprès des princes, et qu'il attendait incessamment son retour.
Aussitôt après cette entrevue, Chévetel regagnait Paris, où il arrivait le 2 septembre, pour assister aux massacres ; il avait une entrevue avec Danton entre 3 et 6 heures du matin et repartait le 3 pour la Bretagne, avec mission de hâter la levée des troupes à destination de la Champagne ; mais en réalité, dans le but d'espionner le marquis de la Rouërie.
Il se rendit directement au château de la Fosse-Hingant, où le marquis se trouvait, chez Desilles, trésorier de l'association, avec Thérèse de Moëlien et plusieurs des principaux chefs de la conjuration.
Chévetel reçut un accueil d'abord assez froid : il avait été précédé par une lettre du chevalier du Pontavice qui dévoilait les intrigues du médecin avec Danton. La Rouërie, à brûle-pourpoint, lui fit part des soupçons que sa conduite inspirait. Chévetel, sans se troubler, se vanta d'avoir gagné Danton à la cause royale, exhiba, à l'appui de son affirmation, une lettre dans laquelle le ministre protestait de son attachement au roi. Jamais le marquis ni ses compagnons n'auraient pu concevoir, tant était grande leur loyauté, une machination comme celle ourdie par l'hypocrite Chévetel. Ils le crurent donc, lui firent des excuses pour les injurieux soupçons auxquels ils s'étaient un instant arrêtés, approuvèrent ses relations avec Danton ; bien mieux, pour se faire pardonner et pour prouver la sincérité de sa confiance, La Rouërie admit Chévetel au Conseil de l'association et le dépêcha à Jersey pour y hâter un envoi de fusils.
Chévetel s'embarqua à Saint-Malo, trouva à Jersey une foule d'émigrés prêts à rejoindre la Bretagne au premier signal d'insurrection et manoeuvra si bien qu'il obtint des autorités anglaises qu'elles empêchassent le départ du convoi d'armes qu'il était chargé de ramener.
L'insuccès de sa mission, qui aurait pu paraître louche aux conjurés, passa inaperçu, au milieu des désastreuses nouvelles venues de l'Est : l'armée des princes venait d'être battue en Argonne, et les troupes en déroute étaient réduites à la plus affreuse misère. En même temps, une lettre de Calonne parvenait au marquis (septembre 1792), l'avertissant de « différer de se montrer », et qu'on « agirait en grand dans le mois de mars ».
Mais cette attente, cette inaction parurent insupportables à La Rouërie ; il voulait entrer en campagne avec le seul concours de ses affiliés et provoqua, à la Fosse-Hingant, une réunion secrète des principaux chefs. Il leur proposa de commencer les hostilités le 10 octobre ; mais tous furent d'avis de « remettre la levée de drapeaux à une date indéterminée », tout en restant à leurs postes et se tenant prêts au premier signal. Quant au marquis, ils lui conseillaient, en attendant, de chercher un refuge à Jersey, au lieu de continuer à mener une vie errante. Lui les remercia de leur sollicitude et déclara que son parti était pris : il resterait.
Les conjurés, là-dessus, se retirèrent et, il demeura seul avec Chévetel et Fontevieux, à qui il donna quelques instructions relatives à une mission dont il les chargeait auprès de Calonne et des princes. Le soir, il quitta la Fosse-Hingant, et, en compagnie de Fricandeau et de Saint-Pierre, il passa la Rance et s'enfonça dans le cœur de la Bretagne.
IX- LE RÔLE DE CHEVETEL
Trois jours après le Conseil auquel il avait pris part à la Fosse-Hingant, Chévetel était à Paris. Il rendait à Danton « un compte détaillé, mais verbal » de tout ce qu'il avait vu et entendu ; Danton avisait lui-même le Comité de Sûreté générale qui engagea aussitôt le ministre de l'Intérieur, Roland, à « donner très incessamment tous les ordres et tous les pouvoirs pour déconcerter le complot ». Chévetel accepta de jouer le rôle d'indicateur, sous le faux nom de Latouche, et on lui adjoignit un repris de justice, Lalligand, dit Morillon, chargé d'arrêter les victimes que Chévetel lui désignerait.
Tous deux quittèrent Paris le 7 octobre 1792, pour se trouver en Bretagne avant le 10, au cas où La Rouërie aurait persisté dans sa volonté de provoquer le soulèvement pour cette date. Le 9, Chévetel arrivait à Saint-Malo et se rendait directement chez son ami Desilles, trésorier de l'association, au château de la Fosse-Hingant, tandis que Lalligan-Morillon s'établissait à Saint-Servan.
Chévetel demeura quatre jours à la Fosse-Hingant, assista à un nouveau Conseil, apprit que l'on attendait, pour entrer en campagne, une occasion plus favorable. D'ailleurs, de nouveaux subsides étant nécessaires, le marquis de la Routine décidait d'avoir, une fois de plus, recours aux princes et choisissait, pour s'acquitter de cette Commission délicate, Fontevieux et Chévetel.
Chévetel fit part de ces nouvelles à son complice et s'embarqua, le 13 octobre, pour l'Angleterre. De Douvres, il gagna Londres, vit Calonne que ses créanciers y tenaient en surveillance. Calonne chargea Chévetel d'une mission secrète pour le comte d'Artois. Celui-ci, à Liége, reçut Chévetel par deux fois ; les gentilshommes bretons l'accueillirent comme un héros. Il fut le confident de tout le monde.
Il mit à profit les trois semaines qu'il passa à Liége, en envoyant à Danton une liste complète et détaillée des émigrés. Enfin, le comte d'Artois ayant approuvé les plans d'insurrection et la date du 10 mars, définitivement fixée pour la prise d'armes, Chévetel et Fontevieux, qui ne s'étaient point séparés, quittèrent Liége : Fontevieux, par Ostende, regagna la Bretagne pour faire connaître au marquis de la Rouërie le résultat de l'ambassade — résultat négatif au point de vue pécuniaire, — et Chévetel se rendit directement à Paris, auprès de Danton.
On était aux derniers jours de décembre 1792. La situation de l'association, aux yeux des conjurés, ignorant la trahison de Chévetel, pouvait paraître excellente : on devait recevoir d'Angleterre une somme considérable en assignats ; un navire était prêt à quitter Jersey avec 1800 fusils, 6 pièces de canon, des munitions et 800 hommes auxquels devaient se joindre les régiments de Brunswick.
Les chefs de la conjuration avaient peine à maintenir l'impatience des paysans, que La Rouërie, pour se faire la main en attendant le coup décisif, entretenait dans une perpétuelle agitation. Au courant de l'automne, des gardes nationaux ayant, sous prétexte de perquisition, pillé le château de Launay-Villiers, le marquis de la Rouërie, Jean Chouan et ses hommes les rejoignirent, les mirent en déroute sans autres armes que leurs faux et leurs bâtons, et en tuèrent ou blessèrent dix-huit.
Le marquis visitait les chefs de ses Comités, toujours recherché par les autorités et toujours introuvable, changeant de refuge presque chaque nuit.
La mort du marquis de La RouërieIl avait trouvé plusieurs fois asile, mais sans y passer jamais plus de deux jours de suite, au château de la Guyomarais, chez M. de la Guyomarais, l'un de ses plus dévoués partisans. Il y était venu au mois d'octobre, puis du 9 au 11 novembre ; enfin, durant quelques heures, le 15 décembre.Il y revint sans être attendu, le 12 janvier 1793, à une heure du matin, accompagné de Fricandeau et de Saint-Pierre. Il avait la barbe longue, était trempé et tout meurtri. Il expliqua à M. de la Guyomarais, qui vint lui ouvrir, qu'on lui avait refusé asile dans une maison amie, et s'excusa d'avoir encore recours à son hospitalité. |
M. de la Guyomarais le conduisit à une chambre du premier étage.
Le lendemain, Saint-Pierre ne put se lever : il souffrait de maux de tête et perdit plusieurs fois connaissance. Fricandeau partit donc seul, emmenant les chevaux, et prévint le chirurgien Morel.
La Rouërie prenait ses repas à la table de M. de la Guyomarais, qui, devant ses enfants et ses domestiques, l'appelait « Gasselin », et passait le reste du temps auprès de Saint-Pierre.
Celui-ci était sur pied le 18 janvier ; mais le marquis, se sentant fatigué, ne put partir. Le lendemain, il s'alitait, en proie à une fièvre qui, dans la nuit, empirait.
M. de la Guyomarais fit chercher, à Lamballe, le Dr Taburet, et répandit le bruit que sa fille Agathe était malade, pour dépister les curiosités. Le médecin constata une fièvre putride et bilieuse grave, et laissa une ordonnance que le chirurgien Morel, présent à la consultation, devait exécuter. Morel posa des vésicatoires qui amenèrent une amélioration sensible le 24 janvier.
Le soir du même jour, comme M. et Mme de la Guyomarais se trouvaient au salon avec leur fille Agathe, une voix qu'ils ne reconnurent point, mais qu'ils supposèrent être celle d'un vieux gendarme à qui le châtelain avait rendu service, cria du potager : — Si vous avez quelque chose à cacher, pressez-vous : une fouille sera faite cette nuit.
Peu après, Saint-Pierre vint avertir M. de la Guyomarais que son maître le demandait.
La Rouërie avait entendu l'avertissement ; il priait son hôte de le faire porter dans la forêt voisine, ou d'abandonner sa maison et de le laisser seul tomber aux mains des ennemis.
M. de la Guyomarais s'y refusa : jamais il n'abandonnerait un ami malade.
— On va, dit-il, vous porter chez de braves fermiers que je connais ; vous y passerez la nuit. Après la fouille, au cas où elle soit faite, on vous ramènera ici : le trajet ne sera que de quelques minutes, et j'espère qu'il ne vous fatiguera pas trop (Casimir de la Guyomarais : Souvenir de 1793, ou la vérité opposée à des mensonges).
On enveloppa le malade dans ses couvertures, on le hissa sur un cheval que guidèrent M. de la Guyomarais et son fils Casimir, et l'on parvint ainsi, à travers la nuit noire, à la ferme de Gourhandais. On coucha le marquis dans un grand lit en forme d'armoire, et, pendant que la fermière s'installait à son chevet, l'on se hâtait de rentrer au château et de faire disparaître les traces du séjour du marquis. Ses armes, sa valise furent cachés dans le double fond d'une armoire, les draps de lits enlevés. Il était temps : les patriotes de Lamballe pénétraient dans la cour, gardaient toutes les issues, et leur chef visitait la maison et ses dépendances, de la cave au grenier. Il était 4 heures du matin.
N'ayant rien découvert, il prit avec ses hommes le chemin de Plancoët.
La troupe, passant devant la ferme de Gourhandais, s'y arrêta, et demanda du cidre. La fermière ne perdit point la tête ; elle s'agenouilla devant le lit où le marquis étouffait, faute d'air respirable, et renvoya les soldats à la cuisine, alléguant qu'elle ne pouvait quitter « son pauvre frère Jacques, qui était à mourir, ne parlait plus, et était si pâle qu'on l'aurait cru mort ».
Cette ruse sauva le marquis de la guillotine. Les patriotes se retirèrent. La nuit suivante, on ramenait le malade au château.
Tout espoir de guérison n'était pas perdu. Le marquis gardait un esprit lucide, suivait le procès du roi, avait de fréquentes entrevues avec Fricandeau, caché dans les environs.
Le 24 janvier, vers le soir, Chafner, retour de Londres, et Fontevieux arrivèrent.
Chafner avait appris, à Londres, qu'un traître, dont on ignorait le nom, avait dû se glisser dans l'association : c'était tout juste si l'on ne désignait pas clairement le lieu de retraite du marquis.
Fontevieux, lui, apportait une nouvelle que, d'un commun accord, on décida de cacher au malade : le roi avait été mis à mort le 21 janvier. Fontevieux et Chafner montèrent quelques instants près de leur ami et couchèrent au château. Cette visite agita le malade qui ne ferma pas l'oeil de la nuit.
Le lendemain, il n'allait pas plus mal. Il revit ses amis, causa avec eux jusqu'au moment où ils descendirent à la salle à manger, pour le repas. C'était l'heure où Saint-Pierre, son domestique, venait lui lire le Mercure et le Patriote français.
Saint-Pierre s'installa comme de coutume ; mais sa lecture fut embarrassée, à cause des nombreux passages qu'il lui fallait sauter pour cacher à son maître la mort du roi. Le marquis s'en aperçut ; il dit à Saint-Pierre d'interrompre sa lecture et d'aller lui chercher un verre d'eau. Le domestique obéit ; il sortit après avoir posé les journaux sur la cheminée.
Il était à peine arrivé dans la salle à manger qu'un cri déchirant, suivi d'un tumulte épouvantable, se fit entendre au premier étage. On se précipite : La Guyomarais, Fontevieux, Chafner, Fricandeau (Note : Il s'appelait réellement Loisel, et avait remplacé Deshayes auprès du marquis en qualité de secrétaire), Saint-Pierre montent en toute hâte, pénètrent dans la chambre de La Rouërie, le trouvent en proie à une crise de folie, hurlant le nom du roi, réclamant ses armes pour voler à son secours ; ils le recouchent, le maintiennent, pendant que les domestiques courent chercher les médecins et que Fricandeau monte à cheval pour appeler le Dr Lemasson, de Saint-Servan, praticien réputé, affilié à la conjuration.
Lemasson arriva dans la nuit. Le Dr Taburet et le chirurgien Morel étaient déjà là. Chez le malade, la prostration alternait avec des crises de fureur : les médecins diagnostiquèrent une fièvre cérébrale.
Dans la nuit du 29 au 30, à 4 h. 1/2 du matin, le marquis de la Rouërie, âgé de quarante-deux ans, rendit le dernier soupir, entouré de ses amis.
XI- UN CADAVRE COMPROMETTANT
Qu'on se représente ce que dut être pour les habitants de la Guyomarais la journée du 30 janvier ! On savait jusqu'en Angleterre — le major Chafner l'avait entendu dire — que le marquis se réfugiait dans un château entre Lamballe et la Hunaudaye ; on pouvait donc s'attendre, à tout moment, à une nouvelle perquisition, d'autant plus que le château de la Guyomarais était suspect. Si les patriotes découvraient le corps du proscrit, c'était la mort certaine, non seulement pour M. de la Guyomarais, mais pour toute sa famille. Il importait donc de prendre rapidement un parti et de faire disparaître le cadavre.
M. de la Guyomarais proposa d'abord d'attendre la nuit pour porter le corps de La Rouërie dans le caveau de la famille, au cimetière de Saint-Denoual ; mais il y renonça en apprenant que des gendarmes occupaient le village. Quelqu'un proposa alors d'enterrer le marquis dans les taillis de la Hunaudaye, tout proches, et où l'on pouvait parvenir sans être vu, sans éveiller les curiosités ; mais Mme de la Guyomarais craignit que les loups, nombreux en cette saison, ne vinssent profaner la tombe, et l'on s'arrêta à un moyen terme : il existait, à peu de distance du château, un petit bois, le Vieux-Semis, séparé du potager par une douve. On décida d'y déposer le corps du marquis, en attendant de pouvoir le transporter dans le caveau de famille des des Guyomarais.
Le précepteur des enfants, Thébault de la Chauvinais, jeune homme de vingt et un ans, se chargea de creuser la fosse, avec l'aide du jardinier Perrin.
A 10 heures du soir, Chafner, La Chauvinais, Loisel dit Fricandeau et Perrin, assistés du Dr Lemasson, montèrent dans la chambre du premier étage, mirent le cadavre nu, le déposèrent enveloppé dans un drap sur un brancard. Ils le descendirent dans la douve, et là, au bord de la fosse tapissée de chaux, Lemasson pratiqua, à l'aide d'un scalpel, de larges incisions aux bras, à l'abdomen, pour permettre à la chaux de pénétrer plus profondément et d'accomplir plus vite son oeuvre de destruction. Ensuite on descendit le corps dans la tombe, on le recouvrit de chaux, on combla le trou, et l'on y planta un houx.
M. de la Guyomarais dressa un acte de décès du marquis, contresigné par Chafner, Georges de Fontevieux et Lemasson, et qui, enfermé dans une bouteille, fut enfoui au pied d'un chêne, sur la lisière de la Hunaudaye. On l'y découvrit par hasard en 1835.
Fricandeau était parti sitôt après l'enterrement ; Fontevieux, Chafner et Lemasson quittèrent la Guyomarais le 31. Pendant que Chafner se rendait à Fougères pour faire part à Mlle de Moëlien de la mort du marquis, Fontevieux allait l'apprendre aux princes. Quant à Saint-Pierre, il choisit la mission la plus périlleuse, et se chargea de porter à Desilles, au château de la Fosse-Hingant, les papiers de la conjuration : correspondance du comte d'Artois (Note : Comte d'Artois, plus tard Charles X), reçus d'affiliés, trouvés par M. de la Guyomarais dans la valise de la Rouërie. Il partit dans la nuit du 1er février.
XII- LES VICTIMES DE CHEVETEL
Nous avons vu que Chévetel, après avoir accompli, à Jersey d'abord, puis à Liége, la mission dont le marquis de la Rouërie l'avait chargé auprès de Calonne et des princes, était revenu à Paris, à la fin de décembre 1792, pour faire son rapport à Danton.
Dans les derniers jours de janvier 1793, entre le 25 et le 28, il reçut une lettre de Thérèse de Moëlien lui annonçant la maladie du marquis et le suppliant de venir soigner leur ami.
Lalligand-Morillon |
Muni de cette lettre, Chévetel se fit donner par le Comité de Sûreté générale tous les pouvoirs nécessaires pour arrêter les coupables et exigea qu'on lui adjoignît encore Lalligand-Morillon, son propre nom devant rester dans l'ombre.Tous deux arrivèrent à Fougères le 13 février. Mlle de Moëlien en était partie depuis trois jours, ce qui contraria vivement Chévetel. Il expédia Lalligand-Morillon à Saint-Servan et se rendit au château de Toutenais, dans la famille Dubuat, tout près de la Fosse-Hingant, d'où il pourrait surveiller les conjurés.Le lendemain, son arrivée était signalée à la municipalité de Saint-Malo : on l'avait pris pour le marquis de la Rouërie, dont on ignorait la mort. |
Le 18 février, Chévetel vint conférer, à Saint-Servan, avec Lalligand-Morillon, qui manquait de confiance en son compère et s'impatientait. De là, Chévetel alla s'installer à la Fosse-Hingant, chez Desilles, où tout le monde le considérait comme un ami dévoué et plein de zèle. Aussi Desilles, dès son arrivée, lui annonça-t-il la mort du marquis.
Chévetel, feignant un grand désespoir, voulut avoir des détails sur la maladie, sur l'agonie, sur les médecins qu'on avait appelés, sur les personnes qui avaient assisté le malade. Il interrogea Saint-Pierre, qui n'hésita pas à parler, connaissant l'affection de son maître pour Chévetel. Il savait que le marquis était enterré à La Guyomarais, mais ignorait l'endroit : sa douleur ne lui avait pas permis d'aider La Chauvinais et Perrin à creuser la tombe. Chévetel parut rassuré à la pensée que le précepteur et le jardinier, deux hommes sûrs, étaient seuls dans le secret. Il n'y avait donc aucune indiscrétion à redouter. Hélas ! Saint-Pierre ne partageait pas cette confiance, il le dit ; M. de la Chauvinais ne parlerait pas ; quant au jardinier Perrin il était à craindre qu'en le faisant boire on n'obtint de lui tous les renseignements qu'on voudrait. Cette révélation ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd.
Chévetel apprit, presque en même temps, que tous les papiers compromettants du marquis de la Rouërie se trouvaient entre les mains de Desilles. Il fit comprendre à celui-ci qu'il importait de les mettre en lieu sûr, sans toutefois les détruire, car l'association, encore que privée de son chef, continuait à vivre.
Tous deux placèrent les papiers dans un bocal qu'ils scellèrent soigneusement et qu'ils enfouirent dans un carré du jardin ; puis, cela fait, Chévetel s'en fut à Saint-Servan annoncer à son complice Lalligand-Morillon que le moment d'agir était venu.
Dès le surlendemain, 25 février, à l'aube, Lalligand-Morillon, ayant requis la force armée, se présentait au château de la Guyomarais. Il avait donné des ordres pour qu'on prévînt le juge de paix Petitbon, du canton de Plédéliac, et qu'on amenât le Dr Taburel et le chirurgien Morel.
Lalligand et Petitbon s'installèrent dans la chambre du premier étage où était mort le marquis, et les interrogatoires commencèrent. Ils durèrent dix-huit heures, sans désemparer, et l'on devine quelle dut être l'angoisse de M. et Mme de la Guyomarais, de leurs deux fils, de leurs filles, gardés à vue dans le salon, en attendant leur tour de comparaître, pouvant se voir, mais non point se parler. A la fin, comme personne ne se compromettait, Lalligand-Morillon employa le moyen révélé par Chévetel : il fit boire le jardinier Perrin, et celui-ci, ivre, consentit à tout ce qu'on lui demandait : il conduisit le commissaire et le juge à la tombe du marquis. On requit deux hommes qui, à coups de pioche, découvrirent le cadavre.
Pendant ce temps, les châtelains, toujours prisonniers dans leur salon, reprenaient espoir : la longueur même de la perquisition semblait un bon augure.
Tout à coup, un grand bruit se fit entendre du côté du potager : la foule des gardes nationaux, des curieux, s'approchait ; Lalligand-Morillon parut sur le seuil du salon ; il interpella Mme de la Guyomarais, lui demandant si elle persistait à nier d'avoir donné asile à La Rouërie. La pauvre femme, surprise, se troubla, balbutia ; alors une main jeta dans le salon un objet sanglant, horrible, qui frôla la robe de Mme de la Guyomarais et roula sur le parquet.
Mme de la Guyomarais, reconnaissant la tête du marquis, poussa un cri d'horreur et s'évanouit ; son mari se précipita pour la soutenir, imposa silence aux rires ignobles des patriotes : — Soit, dit-il, il n'y a plus à nier : voilà bien la noble tête de l'homme qui, si longtemps, vous a fait trembler..... Et, se tournant vers Lalligand-Morillon : — Quant à vous, Monsieur, ajouta-t-il, vous êtes un lâche et votre action est monstrueuse.
Le lendemain, 27 février, le château fut mis au pillage ; Lalligand-Morillon fit main basse sur l'argenterie, sur les assignats et, le 28, il reprit avec sa troupe le chemin de Lamballe, emmenant M. et Mme de La Guyomarais et leurs deux fils, Casimir et Amaury, le précepteur La Chauvinais et le jardinier Perrin.
Les deux jeunes filles, Agathe et Hyacinthe, restèrent seules, affolées et à demi mortes de douleur, dans la maison dévastée. Elles eurent, néanmoins, l'admirable courage de rendre les derniers devoirs au marquis : sa tête, promenée par les patriotes au bout d'une baïonnette, avait été jetée dans un carré du jardin ; elles la recueillirent et la placèrent, une nuit, avec l'aide d'un domestique, sous une dalle de la chapelle. Depuis des années, cette chapelle était en ruines, quand, en 1877, en en faisant niveler le sol, Mlle Mathilde de la Guyomarais, fille de Casimir, retrouva la tête du marquis, entière et paraissant bien conservée. Elle tomba en cendres quand on la toucha ; il n'en reste qu'un fragment de l'os frontal, que Mlle de la Guyomarais fit parvenir au comte de la Belinaye, parent de La Rouërie.
Cependant, l'ignoble besogne de Lalligand-Morillon et de son digne complice Chévetel n'était pas terminée. Tous deux se retrouvèrent, le 2 mars, à Saint-Servan, et Chévetel donna à Lalligand ses dernières instructions pour arrêter à la Fosse-Hingant, où lui, Chévetel, recevait l'hospitalité, tous les principaux conjurés ; il n'omit point non plus d'indiquer l'endroit où lui-même, avec Desilles, avait enterré le bocal enfermant les papiers du marquis.
Chévetel revint aussitôt à la Fosse-Hingant. Il y trouva tous les hôtes du château dans une grande agitation : on les avait avisés qu'une perquisition serait faite dans la nuit. Il les rassura, affirma que personne ne courait aucun danger, et qu'il allait souper au château et y coucher. Mais, quand il eut regagné sa chambre, un nouvel avis plus pressant étant venu, Mme Desilles et ses filles, Mmes de Virel, d'Allairac et de la Fonchais, obtinrent de Desilles qu'il cherchât refuge chez un voisin, d'où il pourrait gagner le petit port de Rothéneuf. Elles supplièrent Chévetel de fuir aussi. Il refusa, parut très contrarié d'apprendre le départ de Desilles et surtout de ne point connaître le lieu de sa retraite, que Mme de Virel ne pouvait préciser.
Lalligand-Morillon arriva au point du jour et joua la même scène qu'à la Guyomarais. Bien qu'il sut exactement l'emplacement des fameux papiers, il bouleversa tous les carrés du jardin, pour avoir l'air, au moins, de les chercher. L'enquête qui suivit dura huit jours. Elle se conclut par l'arrestation des trois filles de Mme Desilles (celle-ci, à demi folle, fut épargnée), de son père, Picot de Limoëlan, de Delaunay, Thomazeau, Groult de la Motte, du Dr Lemasson. On arrêta le comte de Noyan, qui, emprisonné dans la maison de santé du Dr Belhomme, échappa ainsi au tribunal révolutionnaire. On arrêta Thérèse de Moëlien ; enfin, on arrêta, à Paris, Fontevieux, place de la Révolution, et du Pontavice, à l'hôtel d'Orléans, rue du Parc-Royal : Chévetel avait dénoncé leur retraite.
Lui, Chévetel, ne figurait pas, comme bien on pense, au nombre des prisonniers, et aucun de ceux-ci ne s'en étonna, tant était grande la confiance que le traître avait su inspirer à ces pauvres gens (Note : Chévetel devint maire d'Orly sous l'Empire, et le resta vingt ans. En 1832, il dut donner sa démission ; sa fin fut misérable ; sa servante allait de porte en porte mendier pour lui. Il mourut le 15 février 1834. Son triste rôle a été dévoilé par les Archives). Conduits à Paris, incarcérés d'abord à l'Abbaye, puis transférés, le 24 mai, à la Conciergerie, les amis de La Rouërie furent traduits devant le tribunal révolutionnaire le 4 juin, à 9 heures du matin. Enfin, le 18 juin, l'arrêt fut rendu : c'était la peine de mort pour M. et Mme de la Guyomarais, Fontevieux, Pontavice, La Chauvinais, Thérèse de Moëlien, Mme de la Fonchais, qui s'était héroïquement laissée condamner à la place de sa belle-sœur avec qui on la confondait, Limoëlan, Morin de Launay, Locquet de Granville, Groult de La Motte et un domestique de La Guyomarais, Jean Vincent.
Quant au jardinier Perrin, en récompense de sa délation, il fut seulement condamné à la déportation, ainsi que le Dr Lemasson, à qui sa profession constituait une sorte de privilège.
XIII- LA SUCCESSION DE LA ROUËRIE - SON ŒUVRE
L'oeuvre du marquis de la Rouërie, cette lutte acharnée à laquelle il avait sacrifié sa vie, n'était pas morte avec lui. Le 10 mars, à la date même qu'il avait fixée, des soulèvements se produisirent sur plusieurs points.
Ses amis avaient eu soin de tenir sa mort cachée ; mais le gouvernement s'empressa de la publier. Les paysans n'y voulurent point croire : La Rouërie devint pour eux une sorte de héros légendaire qu'ils s'attendaient à voir paraître à leur tête, au milieu des combats. Ceux qui acceptèrent la nouvelle de sa mort résolurent de le venger.
En un seul jour, l'insurrection s'alluma dans toute la Bretagne. Partout, le drapeau blanc fut déployé, avec un ensemble qui montre assez quelle merveilleuse discipline avait su organiser le marquis, quelle fidélité il avait inspirée autour de lui pour que rien du projet ne transpirât. En vérité, il possédait la confiance, le cœur de tous les Bretons, fidèles à leur religion opprimée : car, nous l'avons dit, ce fut surtout la persécution religieuse qui arma les hommes des campagnes, en même temps que leur attachement à la monarchie.
Effrayées par la soudaineté du mouvement, celles des autorités qui penchaient pour la Révolution prirent la fuite. Les autres prêtèrent leur appui aux révoltés ; elles s'ingénièrent à entraver la formation, la marche des gardes nationales que les républicains essuyaient d'organiser un peu partout.
Quand, un mois plus tard, le gouvernement, qui jusqu'alors avait feint de croire à un soulèvement sans importance, se décida à envoyer des troupes en Vendée, les royalistes étaient maîtres du pays, et assez bien organisés pour qu'on eût à compter avec eux. Ils avaient pris Fontenay-le-Comte, Parthenay, Thouars, Doué, tous les postes intermédiaires ; enfin, le 10 juin 1293, ils s'emparaient de Saumur, l'une des places les plus importantes.
On sait combien d'années il fallut pour vaincre ces hommes décidés à lutter jusqu'à la mort pour leurs idées.
Les biens du marquis avaient été mis en vente une première fois, comme biens d'émigré ou réputé tel, en conformité de la loi du 8 août 1792, au mois de janvier 1793, quand, après l'infructueuse perquisition opérée dans son château et sa mise hors la loi, on désespérait de l'arrêter. Sa cousine, Thérèse de Moëlien, avait alors racheté la plupart des meubles, sans doute suivant les volontés de La Rouërie, dont la fin était proche, sans qu'elle le sût.
Une nouvelle mise en vente eut lieu le 5 septembre de la même année. Cette fois, Thérèse de Moëlien avait fini ses jours sur l'échafaud, et la mère du marquis, vivant cachée dans sa maison de Fougères, se garda bien de faire valoir ses droits à la succession.
Des paysans acquirent les biens du marquis, et c'est seulement en l'an XI, après la dispersion définitive de la chouannerie, que Mlle de la Rouërie réclama enfin l'héritage de son fils. Par arrêté du 19 vendémiaire, la terre de la Rouërie lui fut attribuée en douaire, et un autre arrêté de prairial an XI leva définitivement le séquestre sur la totalité des biens du marquis.
Mme de la Rouërie mourut le 19 avril 1808, âgée de soixante-dix-neuf ans.
Quant au fils du marquis, dont nous avons parlé au début de ce récit, il fut confié, après la mort de son père, à la famille de Chappedelaine. Il rejoignit les bandes du comte de Puisaye, et fut tué dans un engagement contre les bleus.
Article du Gustave HUE, site info Bretagne.
Mémorial du marquis de la Rouërie situé devant le château de La Guyomarais sur l'actuelle commune de Saint-Denoual, dans les Côtes-d'Armor.
Sépulture de La Rouërie
Il fallait cependant cacher le corps, le 31 janvier, pendant la nuit, Schaffner, Fontevieux, Loaisel, Lemasson, le jardinier Perrin, des domestiques et des membres de la famille La Guyomarais, enterrent le corps de La Rouërie en cachette dans le bois de Vieux Semis, qui appartient au château. Jusqu'au milieu du mois de février, la mort de La Rouërie demeure secrète.
Peu après l’enterrement, Schaffner et Fontevieux quittent le manoir. Quant à Saint-Pierre, il prend les papiers et la correspondance du marquis et les porte à Désilles, à la Fosse-Hinguant, où il lui apprend également la mort du chef de l'association. Désilles met ensuite les papiers dans un bocal qu’il enterre.
Mais auparavant, à la fin du mois de janvier, Thérèse de Moëlien, qui sait La Rouërie malade, écrit à Valentin Chevetel. Elle lui demande son aide, se souvenant de sa profession de médecin. Chevetel arrive alors à La Fosse-Hinguant. Il y apprend de Désilles la mort du marquis de La Rouërie, ainsi que le lieu et les circonstances de son décès. Chevetel transmet aussitôt toutes ces informations à Lalligand-Morillon.
Le 25 février, celui-ci, à la tête de 15 soldats républicains, fait irruption à La Guyomarais. Il y fait arrêter tous ses occupants, soit la famille de La Guyomarais, ainsi que leurs domestiques. Les trois médecins qui avaient soigné le marquis sont également arrêtés et conduits au manoir. Lalligand-Morillon interroge ensuite les détenus, un par un, pendant de longues heures et dans le manoir même. Tous les accusés nient avoir hébergé La Rouërie. Cependant Lalligand enivre le jardinier Perrin qui finit par parler. Celui-ci mène Lalligand et quelques soldats devant la tombe. Le corps du marquis de La Rouërie est exhumé, Lalligand le fait décapiter.
Il retourne alors à La Guyomarais et jette au sol la tête de La Rouërie qui roule aux pieds des accusés. Monsieur de La Guyomarais dit alors :
« Soit, il n'y a plus à nier. Voilà bien la noble tête de l'homme qui si longtemps vous a fait trembler. »