19 novembre 2024
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Une nouveauté dans nos cousinages chasse l'autre. Après la découverte de nôtre cousinage avec les Bethancourt (aux orthographes divers), aujourd'hui, je vais vous parler d'un autre cousinage, encore un peu plus lointain, vers l'an 1016 !.
Vu la date lointaine de ce cousinage, de très nombreux "cousins" vont se découvrir... Il nous faudra tout de même prendre beaucoup d'informations au conditionnel.
Le couple de départ qui nous concerne est celui de Hubert III dit le Posthume de Champagné né en 1016 ou 1017 et mort en 1081, il est baron de Durtal et seigneur de Arnay, il épouse vers 1042 Agnès de Mathefelon (née vers 1020), elle est la fille de Hugues de Clairvaux et de Hersende de Vendôme.
D'où : Hersende de Champagne qui épouse
Hersende de Champagne (1060, † ), ou Hersende de Montsoreau, est issue de la haute noblesse française. Disciple de l'ermite Robert d'Abrissel, elle est cofondatrice et première grande prieure de l'abbaye de Fontevraud, maison mère de l'ordre de Fontevraud. D'après des recherches récentes, elle est également peut-être la mère d'Héloïse, femme et amante d'Abélard.
Hersende de Champagne est originaire de la maison de Champagne-(Parcé et Champigné), aussi possessionnée à Durtal sur le Loir.
Le père de Hersende, Hubert III de Champagne (* 1016), était vassal des comtes d'Anjou. Il avait des liens familiaux avec les maisons de Montreuil-Bellay et de Durtal, tous des fiefs d'importance en Anjou. Son grand-père, Hubert I de Champagne, avait peut-être des liens familiaux avec la maison de Montmorency, près de Paris, par sa femme Ermenburg, fille supposée d'Albert de Montmorency (?) et dame de Vihiers. La mère de Hersende, Agnès. Son grand-père maternel, Hugues de Clervaux (résidence noble dans le sud de l’Anjou, aujourd'hui Scorbé-Clairvaux), s'était distingué à plusieurs reprises dans les combats contre les Bretons et dont le nom de guerre était « Mange Bretons ». Sa grand-mère, Hersende de Vendôme, fille du vicomte Hubert Ier de Vendôme et femme d'Hugues Mange-Breton, entretient des liens étroits avec le Vendômois. Son grand-oncle maternel, Hubert II de Vendôme, évêque d'Angers en 1006-1047, édifia la cathédrale Saint-Maurice d'Angers.
Hersende, de haute noblesse angevine, est aussi apparentée à un grand nombre de familles nobles, dont celle des Montmorency, ce qui appuiera la thèse qu'elle soit la mère d'Héloïse.
Hersende de Champagne est née après 1060 à Durtal. Elle perd ses parents prématurément, et doit prendre soin de ses frères cadets. En 1080, elle se marie avec un certain Foulques. En 1086, elle épouse Guillaume de Montsoreau († avant 1087) en secondes noces. Guillaume de Montsoreau est seigneur de la forteresse de Montsoreau, située à seulement quelques kilomètres du futur monastère de Fontevraud. Il appartient à la plus haute noblesse angevine et il eut un fils nommé Gautier Ier de Montsoreau de son premier mariage. D'une union scandaleuse avec le Grand bouteiller de France Gilbert de Garlande, Hersende de Champagne aurait donné naissance vers 1092 à une fille : Héloïse, future femme d'Abélard.
Hersende de Champagne obtient les terres qui lui permettent de bâtir l'abbaye de Fontevraud, de son beau-fils Gautier Ier de Montsoreau. Fontevraud était un choix stratégique, situé juste à l'intersection de trois zones politiques indépendantes : l'Anjou, la Touraine et le Poitou. Selon la loi ecclésiastique, Fontevraud dépendait de l'archidiocèse de Poitiers, mais en était aussi très éloignée, ainsi toute influence politique et épiscopale sur la jeune institution étant réduite au minimum. Les terres situées au confluent de deux cours d'eau majeurs (la Loire et la Vienne), étaient idéalement adaptées pour les grandes conventions, et l'abbaye remplit, en raison de sa situation géographique parfaite, les conditions nécessaires à sa future prospérité.
La réussite de l'installation de l'abbaye est due aux multiples dons venant de tout l'Anjou, et tout principalement de son beau-fils et de son propre fils Etienne. D’après la Vie de Robert d’Arbrissel, écrite par Baudri de Bourgueil (Evêque de Dol), c’est bel et bien Hersende et non Robert qui est la force motrice des nouvelles constructions au sein du monastère. Hersende dirige aussi la construction de la grande église abbatiale, commencée autour de 1104. Dans son harmonie, l'église est l'un des chefs-d'œuvre de l'architecture religieuse. En tant que première grande prieure, Hersende organise aussi l'initiation des converties et des religieuses. Les hagiographes du 17e siècle ont grandement minimisé le rôle de Hersende de Champagné, ce qui explique qu'elle soit tombée dans un oubli relatif. Les tentatives de canonisation de Robert d'Arbrissel ont aussi contribué à la faire passer en arrière-plan.
Hersende, de haute noblesse angevine, est aussi apparentée à un grand nombre de familles nobles, dont celle des Montmorency, ce qui appuiera la thèse qu'elle soit la mère d'Héloïse.
Hersende de Champagne est née après 1060 à Durtal. Elle perd ses parents prématurément, et doit prendre soin de ses frères cadets. En 1080, elle se marie avec un certain Foulques. En 1086, elle épouse Guillaume de Montsoreau († avant 1087) en secondes noces. Guillaume de Montsoreau est seigneur de la forteresse de Montsoreau, située à seulement quelques kilomètres du futur monastère de Fontevraud. Il appartient à la plus haute noblesse angevine et il eut un fils nommé Gautier Ier de Montsoreau de son premier mariage. D'une union scandaleuse (après la mort de son mari) avec le Grand bouteiller de France Gilbert de Garlande, Hersende de Champagne aurait donné naissance vers l'an 1000 à une fille : Héloïse, future femme d'Abélard.
Hersende de Champagne obtient les terres qui lui permettent de bâtir l'abbaye de Fontevraud, de son beau-fils Gautier Ier de Montsoreau. Fontevraud était un choix stratégique, situé juste à l'intersection de trois zones politiques indépendantes : l'Anjou, la Touraine et le Poitou. Selon la loi ecclésiastique, Fontevraud dépendait de l'archidiocèse de Poitiers, mais en était aussi très éloignée, ainsi toute influence politique et épiscopale sur la jeune institution étant réduite au minimum. Les terres situées au confluent de deux cours d'eau majeurs (la Loire et la Vienne), étaient idéalement adaptées pour les grandes conventions, et l'abbaye remplit, en raison de sa situation géographique parfaite, les conditions nécessaires à sa future prospérité.
La réussite de l'installation de l'abbaye est due aux multiples dons venant de tout l'Anjou, et tout principalement de son beau-fils et de son propre fils Etienne. D’après la Vie de Robert d’Arbrissel, écrite par Baudri de Bourgueil (Evêque de Dol), c’est bel et bien Hersende et non Robert qui est la force motrice des nouvelles constructions au sein du monastère. Hersende dirige aussi la construction de la grande église abbatiale, commencée autour de 1104. Dans son harmonie, l'église est l'un des chefs-d'œuvre de l'architecture religieuse. En tant que première grande prieure, Hersende organise aussi l'initiation des converties et des religieuses. Les hagiographes du 17e siècle ont grandement minimisé le rôle de Hersende de Champagné, ce qui explique qu'elle soit tombée dans un oubli relatif. Les tentatives de canonisation de Robert d'Arbrissel ont aussi contribué à la faire passer en arrière-plan.
Héloïse et Abélard
L’histoire vraie d’Héloïse et Abélard sous le règne du roi Louis VI, est celle d’une passion charnelle qui se transforme en un lien indéfectible empreint de spiritualité malgré les épreuves traversées.
Pierre Abélard naît en 1079 dans une famille noble. Fils du seigneur du Pallet il est destiné au métier des armes comme ses frères. Mais sa soif de connaissance et sa passion des lettres le font se tourner vers l’éducation. Il se rend à Paris où il enseigne la philosophie. Intellectuel surdoué, dialecticien redoutable, il est un jeune professeur admiré par ses élèves. Réputé et respecté malgré son caractère peu commode. À 36 ans, il est un brillant maître en théologie à la Cathédrale de Notre Dame de Paris. Le Chanoine Fulbert lui confie l’éducation de sa nièce, Héloïse. Elle a 17 ans. Il est tout de suite bouleversé par son intelligence et sa beauté.
Héloïse naît en 1100. Elle est élevée et instruite à l’abbaye d’Argenteuil, monastère réservé aux femmes, puis à la cathédrale Notre Dame de Paris où son oncle est chanoine. Jeune nonne pertinente, sa vivacité d’esprit et sa beauté sont troublées par la présence de ce nouveau professeur, Pierre Abélard, un homme mûr et séduisant.
Leur histoire ne reste pas longtemps platonique. La passion les inspire et les pousse l’un vers l’autre. Le maître et l’élève s’aiment envers et contre tous. La passion charnelle les consume, bien loin des enseignements reçus par chacun d’eux. Héloïse tombe alors enceinte. Abélard l’enlève et ils se réfugient en Bretagne où elle donne naissance à leur fils Astrolabe. Elle rentre alors à Argenteuil abandonnant son enfant à la famille de son aimé. Ils se marient secrètement. Sur l’insistance d’Abélard et par amour pour lui, elle accepte de se retirer dans le monastère où elle a passé son enfance. Le scandale de leur relation finit par éclater quand le Chanoine Fulbert furieux dénonce leur mariage secret et nuisible à la carrière d’Abélard, qui a trahi l’église, selon les lois de l’époque. Le chanoine emploie alors deux sbires pour punir le philosophe. Il sera ainsi émasculé. Cette mutilation met un terme à sa carrière d’ecclésiastique et d’enseignant, mais la vengeance est si cruelle et si scandaleuse que le chanoine se voit relevé de ses fonctions durant quelques années.
Héloïse prend le voile à l’abbaye d’Argenteuil. Et devient en 1129 abbesse du couvent du monastère le Paraclet, près de l’ermitage fondé par Abélard et qu’elle a su rendre prospère. Philosophe reconnue, elle l’administrera le restant de sa vie. Loin de son amour qu’elle transformera en lien spirituel, mais auquel elle ne renoncera jamais.
Abélard se réfugie à l’abbaye Saint-Denis où il devient moine et continue ses travaux de philosophie. Désormais, leur fougueuse passion s’exprimera dans les lettres de leur amour, de magnifiques et lyriques échanges en latin. Elle avoue être condamnée au cloître par son amour tragique pour lui, avec qui elle a connu la plénitude de l’être. L’admiration intellectuelle et mutuelle jaillit de cette correspondance entre les époux.
Cet amour au fil des mots n’a pas d’âge, il est universel. Dans leur tragédie, les deux amants puisent la source intarissable de leur relation bien au-delà du charnel. Empreinte de spiritualité, leur passion se mue en un échange intellectuel et philosophique qui traverse le temps. Persécutés au point d’être contraints d’embrasser la vie monastique, rien n’altère leur lien.
Abélard meurt en 1142, elle réclame sa dépouille et l’ensevelit au Paraclet. Lorsqu’elle disparaît en 1164, la légende dit que sa volonté d’être déposée après sa mort dans le tombeau de son mari fut respectée, et qu’Abélard, mort depuis tant d’années, étendit les bras pour la recevoir et les ferma, la tenant embrassée, à jamais. En 1917 la mairie de Paris fait transporter les restes de ce couple de légende au cimetière du Père-Lachaise, leur dernière demeure.
Histoires d'Amour vraies
Paris cimetière du Père Lachaise. En 1817, les restes d'Héloïse et Abélard y sont transportés et y reposent pour l'éternité.
Héloïse est peut-être la fille illégitime d'un noble occupant une position sociale élevée, allié des Montmorency. Il n'est pas improbable que son père soit le Grand bouteiller de France Gilbert de Garlande dit Païen, frère d'Étienne de Garlande, lequel a été dénoncé comme un « libertin » avant l'heure par son détracteur Yves de Chartres, ou bien un certain Jean, fils d'un membre de la suite de la Dame de Montlhéry, Hodierne de Gometz, devenu prêtre avant 1096 et fait chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois. Mais on ne trouve dans les documents d'époque qui la concernent aucune allusion à une naissance illégitime.
Sa mère, prénommée Hersende, est peut-être celle qui a fondé entre 1101 et 1115 Fontevrault. Elle aurait été orpheline, élevée par ses frères issus d'une puissante famille angevine et devenue par son second mariage Dame de Montsoreau, veuve dès 1086, entrée dans les ordres avant 1096, ou une moniale du même nom, mais qui est peut-être la même personne, chassée en 1107 de l'abbaye Saint-Éloi, après que l'évêque Galon et l'archidiacre Guillaume de Champeaux, champions de la réforme grégorienne, l'ont dénoncé comme une « caverne de fornication ».
L'enfant grandit parmi d'autres demoiselles auprès des bénédictines de l'abbaye Notre-Dame d'Argenteuil, qui lui enseignent à partir de ses sept ans la lecture puis la grammaire.
Un enseignement de premier plan (~1108-1112)
Adolescente, Héloïse voit son éducation confiée par sa mère à l'un des deux frères de celle-ci, Fulbert. Ce chanoine, depuis au moins 1102, exerce au sein de l'Hôpital des Pauvres une charge de sous-diacre « extra muros » c'est-à-dire à l'extérieur du Cloître. C'est une charge probablement obtenue grâce à deux alliés de la famille, le feu suffragant Guillaume de Montfort, et la demi-sœur de celui-ci, la reine illégitime Bertrade, retirée depuis 1104 à Fontevrault.
Héloïse poursuit ainsi sa jeunesse vraisemblablement au presbytère de la chapelle Saint-Christophe, qui appartient aux Montfort. Sa condition d'aristocrate sans biens propres et sans héritage, la destine au mariage ; un mariage sans dot, donc à un veuf ou un noble que la famille aurait des raisons de vouloir marier à tout prix. Elle n'aura de cesse de travailler pour échapper à cette condition.
Cet oncle, qui a pu être un secours au moment où sa sœur mettait au monde sa nièce, introduit Héloïse au trivium et la pousse dans le cursus des arts libéraux au moment où le corps le plus conservateur de l'enseignement se retire du monde pour fonder autour de Guillaume de Champeaux l'abbaye savante Saint-Victor. Resté bien en cour après l'avènement de Louis le Gros, qui succède à son père le roi Philippe en 1108, Fulbert est un homme avide de charges et des revenus attenants. Il a fréquenté Baudri de Bourgueil, qui est un lettré versé dans la poésie latine (en), initiateur avec Marbode de la Renaissance angevine et précurseur de l'humanisme. C'est chez Baudri, inventeur de ce genre littéraire inspiré par les Héroïdes d'Ovide, qu'Héloïse trouvera l'idée de correspondance amoureuse.
Genèse d'une légende (1113-1117)
La rencontre de la chansonnière avec le Maître (1113)
En tant que chanoine membre du chapitre cathédral de Saint-Étienne, le tuteur d'Héloïse prend en pension, sous le même toit que sa filleule, l'écolâtre de l'école cathédrale du Cloître de Paris, Abélard, qu'il soutient depuis de nombreuses années dans sa démarche moderniste. Abélard, qui a quitté son poste de Corbeil en 1107 pour prendre une année sabbatique au Pallet et enseigne depuis 1110 à Sainte-Geneviève du Mont où, depuis Melun, l'a appelé Etienne de Garlande quand celui-ci en a été nommé doyen, est promu à ce poste dans l'île de la Cité une seconde fois en 1113, après en avoir été évincé en 1109 par son ancien maître et désormais ennemi Guillaume de Champeaux. Cette nomination rehausse le prestige de l'école parisienne face à celle des disciples d'Anselme de Laon, Albéric de Reims et Lotulphe de Lombardie, les rivaux d'Abélard dans la querelle des universaux.
Si la beauté solaire de la jeune femme n'est pas exceptionnelle sans être des moindres, ne serait-ce que par sa haute stature, son rang, son engagement dans des études, chose inouïe pour une femme, plus encore son audace de les consacrer à un domaine non religieux, lui valent d'être une des personnalités les plus en vue de Paris. Son intelligence et ses connaissances en latin, grec et hébreu, spécialement celle des auteurs antiques, encore ignorés de l'enseignement officiel, étonnent. Ses chansons reprises par les goliards en font la figure féminine d'une jeunesse étudiante qui s'émancipe, à l'instar d'Abélard lui-même, de sa condition familiale et féodale et obtiendra à force de grèves quatre-vingt-six ans plus tard le statut de clerc, le for ecclésiastique à l'origine de l'Université.
Abélard, célibataire célèbre pour sa beauté et reconnu par ses pairs comme le plus éminent des enseignants de la dialectique, cherche à devenir son professeur particulier dans le but calculé de la séduire. Parvenu à trente-quatre ans au sommet de sa gloire, il est le fils aîné d'un chevalier poitevin qui s'attacha à la cour du comte Matthias et du duc souverain de Bretagne Alain Fergent et qui devint baillistre de la seigneurie du Pallet en en épousant l'héritière.
La romance d'Héloïse (1113-1115)
Tel un trouvère de la cour du duc Guillaume IX d'Aquitaine qui semble avoir tant influencé son père, Abélard commence par faire de sa fredaine des chansons en latin, manière de délassement devenue son habitude, dont les mélodies séduisent jusqu'aux plus illettrés et deviennent les succès de la mode populaire du moment à travers tout l'Occident. Il y célèbre le nom d'Héloïse, créant la légende avant même l'histoire. « (...) avec ton refrain à succès, tu mettais ton Héloïse dans toutes les bouches. De moi toutes les places, de moi chaque maison résonnaient. ».
« Hebet sydus leti visus cordis nubilo
L'astre dont la vue m'avait réjoui pâlit dans la brume de mon cœur. »
— Premier vers d'une chanson comparant « Helois » à Helios. Elle a été attribuée à Abélard par rapprochements avec les deux premiers vers d'un poème qu'il lui a adressé.
« Stella polum variat et noctum luna colorat
Sed michi sydus hebet quod me conducere debet.
L'étoile tourne au pôle et la lune colore la nuit
Mais mon astre à moi pâlit, lui qui devait me guider. »
— Les deux vers en question.
Tout Paris chante déjà Héloïse, jalousée des femmes, quand à l'automne 1114 Abélard initie avec elle, sous prétexte de leçons, une correspondance, moyen de séduction préféré à la seule conversation, aussi savante que galante. Les tablettes de cire retournées par le professeur, après qu'il y a ajouté sa réponse, sont recopiées par Héloïse, peut-être déjà avec une arrière-pensée éditoriale de ce qui est devenu les Lettres des deux amants. Les formules de salutations, détournées par jeu de leur seule fonction, sont l'occasion pour l'élève, au-delà du témoignage d'affection conventionnel, d'un exercice rhétorique et d'une innovation littéraire mêlant les allusions intimes aux références théologiques.
Clinicienne, Héloïse fait au cours de ces échanges l'analyse de son désir amoureux. Sublimant à travers l'être aimé l'avilissement de la concupiscence, le désir se transcende dans son exercice libre de nécessaire pécheur comme expression, plutôt que comme action, de la Grâce accordée par le Paraclet. Si la foi se vit à travers l'image du Christ qu'est l'homme aimé, c'est sans l'hypocrisie de renoncer à sa condition de femme désirante, de pécheresse, qu'Héloïse entend le faire, illustrant ainsi le thème évangélique de « se perdre pour se retrouver » tel que le formulera Thérèse d'Avila et que le diffusera le quiétisme. Ce faisant, elle met en application, ou détourne, dans l'alcôve la conception de responsabilité morale et juridique que développera ultérieurement Abélard selon laquelle les actes les plus coupables ne le sont pas si l'intention n'y est pas. Il n'y aurait pas de faute morale à tomber dans la luxure quand c'est par un effet de l'amour et non par perversité. « Morale du couple » plus que du seul moraliste à l'origine du droit moderne qu'est Abélard, c'est le mythe de l'amour dit libre et peut être mise, au moins par son inspiration amoureuse, au crédit d'Héloïse.
Plus qu'une correspondance amoureuse, les Lettres des deux amants sont une correspondance sur l'amour. Elle est en effet l'occasion pour Héloïse d'inventer sous le terme emprunté à Tertullien de « dilectio », au sens d'estime, une forme d'amour intellectuel. Elle le définit brièvement comme une aliénation entre semblables, une soumission volontaire (« in omnibus obire ») en réponse à l'amitié reçue. L'amour se distingue toutefois de l'amitié telle que la définit Cicéron entre personnes du même sexe, c'est-à-dire que s'y assume la différence des sexes. Semblables et singuliers, hommes et femmes ne sont pas identiques. Héloïse applique à la question de la nature de l'amour une autre leçon de son maître, une leçon de logique tranchée lors de la querelle des universaux sur la différence entre le genre et l'espèce.
Cette conception « avant gardiste », post aristotélicienne du désir, tout d'une pièce intellectuel et sexuel, cette philosophie du sujet, responsable de ses désirs plutôt que de son comportement, sera déclinée six siècles et demi plus tard par les Précieuses sous l'allégorie de Tendre sur Estime, accomplissement de l'amour parfait. La définition que donne Héloïse de l'amour est triplement révolutionnaire, premièrement parce que c'est une femme qui s'exprime sur le sujet, deuxièmement parce qu'en faisant fi des élucubrations philosophiques masculines antérieures que lui expose son amant et qui la dépassent, elle prétend l'affirmer concrètement (« Dilectio (...) ex ipsius experimento rei ») à partir de son expérience personnelle (« naturali intuitu ego quoque perspiciens »), troisièmement parce que, la différence des sexes se traduisant par des amours différents, elle affirme une spécificité de l'amour féminin. Inversement, Abélard lui confessera dix-huit ans plus tard, au milieu d'un discours plein de bondieuseries, que l'amour spécifiquement masculin, le sien du moins, ne consiste, en tant que tel, en rien d'autre qu'une concupiscence la plus brutale.
Adultère et Astralabe (1116)
Entre l'élève et son professeur, de treize ans son aîné, s'engage une liaison transgressive, enflammée, mais inconstante, d'où la violence n'est pas exclue : « que de fois n'ai-je pas usé de menaces et de coups pour forcer ton consentement ? ». Les nuits de passion épuisent et entraînent les deux intellectuels jusqu'à des excès sadomasochistes : « j'allais parfois jusqu'à la frapper, coups donnés par amour, (…) par tendresse, (...) et ces coups dépassaient en douceur tous les baumes. (...) tout ce que la passion peut imaginer de raffinement insolite, nous l'avons ajouté. ».
Découverte semble-t-il au début de l'année 1116, la liaison scandaleuse tourne au vaudeville. Fulbert renvoie son pensionnaire, attisant la flamme des corps séparés. Le professeur est alors surpris une nuit en flagrant délit, au milieu des ébats du couple, et la jeune fille est éloignée à son tour. À son retour, « Une fois la honte passée, la passion ôta toute pudeur » et Héloïse tombe enceinte peu après.
Pour la soustraire aux autorités françaises, son amant organise son enlèvement, lui fournit un déguisement de nonne, l'emmène un jour que son oncle est absent et la conduit jusque dans sa patrie, au Pallet. C'est la garnison au sud de la Loire qui garde Nantes face à la France. Elle est tenue par le cadet d'Abélard depuis quatre ans que leur père Bérenger s'est retiré avec le roi Fergent à Redon. Pour prévenir une possible riposte, les fugitifs sont mis sous escorte.
À l'automne 1116, Héloïse accouche chez la sœur d'Abélard, Denyse, d'un fils auquel elle donne le prénom non chrétien d'Astralabe, c'est-à-dire, en français moderne, Astrolabe, sous-entendu « Puer Dei I », soit « premier fils de Dieu », d'après l'anagramme ésotérique ainsi formé de Petrus Abaelardus II. L'astrolabe n'était à l'époque que d'un usage astrologique. L'enfant, qui sera baptisé sous le patronage de Pierre, est confié, non sans déchirements, à Denyse, à laquelle Héloïse restera attachée puisqu'elles termineront leurs jours ensemble à l'abbaye du Paraclet.
Le mariage (début 1117)
Abélard retourne seul à Paris négocier le pardon de Fulbert, lequel obtient une promesse de mariage sans qu'Héloïse, restée au Pallet, ait été consultée. Celle-ci se voit un destin de courtisane dans un Paris qui invente, à l'occasion d'un boom économique et démographique, la mode et les salons mondains et qui offre aux femmes la tentation d'une condition nouvelle échappant à la réclusion ménagère, mais, au père de son enfant revenu la chercher, elle finit par céder, « seule chose à faire si nous voulons nous perdre tous deux et nous préparer un chagrin égal à notre amour. »
Dans les semaines suivantes, le mariage est prononcé à Paris devant témoins, mais à l'aube et secrètement, pour ne pas compromettre les chances du mari d'obtenir un canonicat qui exigeait le célibat considéré comme la preuve de la domination de ses sens et donc d'une supériorité morale. Cette question du célibat sacerdotal ne sera véritablement tranchée qu'au concile de Latran de 1139, mais pour ses partisans, les amants sont alors le contre-exemple le plus scandaleux. Il a fallu trouver un prêtre conciliant et discret. La cérémonie a pu se faire aussi bien à la chapelle Saint-Christophe, chez l'oncle maternel, qu'à la chapelle Saint-Aignan, érigée un an plus tôt par l'hypothétique oncle paternel Etienne de Garlande dans l'hôtel que celui-ci possède dans le Cloître de Paris.
Au-delà de ce calcul carriériste, Héloïse, opposée à son mariage parce que se jugeant à la fois une personne indigne de son époux et une entrave à son destin d'enseignant réformateur, fait de la dénégation de sa condition d'épouse une question éthique : selon ses dires, se marier serait comme une prostitution de la femme, un intéressement matériel de l'épouse à une condition sociale toute masculine, qui peut convenir à celle qui « si l'occasion s'en présentait, se prostituerait certainement à un plus riche encore », mais pas à une femme véritablement amoureuse de la personne elle-même, comme si l'un était exclusif de l'autre. Préfigurant les jugements des cours d'amour qui définiront la fine amor comme un amour platonique mais souvent impossible, elle aurait voulu, nonobstant la décision de son maître, rester « douce amie ».
« Le nom d'épouse paraît plus sacré [..]. J'aurais voulu, au risque de te choquer, celui de concubine et de , dans l'idée que plus je me ferais humble sous ton regard, plus je m'attacherais de titres à obtenir tes grâces […] », et en insistant « [...] il m'aurait paru plus souhaitable et plus digne d'être ta courtisane plutôt que l'impératrice [d'Auguste] ».
Rébellion et castration (fin 1117)
Pour Fulbert, l'honneur familial est réparé par le mariage. Aussi trahit-il la convention passée avec son quasi gendre et rend ce mariage public, alors qu'Héloïse s'obstine à le nier en public comme en privé. Si elle agit ainsi, c'est parce qu'elle se soucie de préserver le secret qui protège la carrière de son mari, mais aussi parce qu'elle n'a pas renoncé à une vie indépendante.
Fulbert bat sa nièce ingrate à chaque marque d'obstination, méthode d'éducation tout à fait ordinaire à l'époque, du moins pour les garçons. Pour se soustraire aux coups, celle-ci, désormais émancipée par son mariage de la tutelle de son oncle, mais ne pouvant s'installer en ménage avec son mari sans révéler au public le secret, retourne comme pensionnaire au couvent très mondain de Sainte Marie d'Argenteuil. Plus que jamais, les apparences cachent le plus scabreux : Abélard n'hésite pas à sauter le mur du couvent et les époux n'ont de cesse que leur fornication reprenne fût ce dans un coin du réfectoire.
L'oncle se croit trahi une seconde fois par un Abélard qui, jugeant paternité et travail d'écriture incompatibles dans un foyer qui ne disposerait pas de domesticité et d'espace suffisant, rechigne à devenir un « âne domestique ». Il voit le roué abandonner tout projet familial et se débarrasser d'une épouse en l'obligeant à entrer dans les ordres. En , il le fait châtrer, châtiment habituellement réservé aux violeurs, par des hommes de main, qui ont soudoyé le valet de la victime.
Dès le lendemain matin, la foule afflue vers les lieux du crime. Les bourgeois de Paris, estimant l'honneur de leur ville en cause, peut-être moins par la blessure infligée à un écolâtre que par l'injure faite au second personnage de l'État qu'est le Chancelier Étienne de Garlande en s'attaquant à un de ses proches, saisissent le suffragant Girbert, dont relève le chanoine. L'évêque juge que le préjudice n'est pas seulement physique, mais que ce qui est lésé, c'est la notoriété d'Abélard, privé de voir son public sans éprouver de honte. Aussi le tribunal épiscopal condamne-t-il, selon la loi du talion, le valet et l'un des exécutants à la castration, mais aussi à l'énucléation. Les autres complices n'ont pu être arrêtés. Fulbert est démis de son canonicat, ses biens sont confisqués. Le vieillard ayant nié son implication, un doute subsiste sur le mobile et les intentions du commanditaire. Aussi Abélard renonce-t-il à faire appel, mais il reçoit sans doute un dédommagement matériel pris sur les biens saisis, dont l'usage revient ainsi à son épouse.
Les Adieux d'Héloïse à Abélard, huile sur toile visible à l'Ermitage peinte en 1780 par Angelica Kauffmann pour illustrer l'édition d'Alexander Pope.